Un sanctuaire dédié à Aristée a été identifié sur la presqu'île de Giens, au niveau du lieu-dit La Capte (1) sur la commune d'Hyères (Var), à quelques kilomètres du comptoir massaliote d'Olbia (Saint-Pierre-de-l'Almanarre, Hyères). Il s'agît d'un sanctuaire rupestre, sans construction en pierre, situé au niveau du premier massif rocheux rencontré après avoir franchi le tombolo de la presqu'île de Giens depuis le continent. Sa position suggère qu'il devait constituer dans l'antiquité un élément paysager visible de loin. D'après les vestiges identifiés, ce site fut occupé en continu entre la fin du IIe av. J.-C. et le tout début du Ier s. ap. J.-C. (Coupry & Giffault, 1984 ; Decourt, 2004). Cette datation invite à considérer que ce sanctuaire s'est développé après la guerre contre les Salyens (125-122 av. J.-C.), après que Gaius Sextius Calvinus ait confié la portion littorale de leur territoire à l'administration des Massaliotes (123-122 av. J.-C.).
Un sanctuaire hellénistique fréquenté par des Grecs et des Gaulois
Plusieurs campagnes de fouilles ont été effectuées sur une petite portion de ce site entre 1973 et 1982, ayant permis de mettre au jour près de 40000 tessons (2) de céramiques campaniennes, hellénistiques et dans une moindre mesure italiques, représentant environ 600 vases (Coupry & Giffault, 1984 ; Decourt, 2004). Près de 350 dédicaces au dieu Aristée y ont été gravées après cuisson, toutes exprimées en grec, à l'exception de deux qui furent rédigées en latin. Parmi les inscriptions en langue grecque, une vingtaine furent le fait de Gaulois, sans que l'on ne puisse dire s'ils venaient de territoires indigènes voisins, tel que celui des Camatulliques, ou de la chôra même d'Olbia (Coupry & Giffault, 1984 ; Bats, 2010).
M. Bats (2010) a relevé sur certains voeux ou remerciements adressés à Aristée par des Gaulois, en grec, des graphies parfois différentes au sein d'une même inscription. Selon lui, cela témoignerait du fait que celles-ci furent rédigées par plusieurs personnes, peut-être même des scribes présents à l'entrée du sanctuaire, chargés de l'inscription des dédicaces pour les analphabètes ou les étrangers non-hellénophones.
Un sanctuaire unique en son genre
La principale particularité de ce site est qu'il constitue l'unique sanctuaire dédié au dieu Aristée connu dans le monde hellénistique. Dans la mythologie grecque, Aristée est le fils d'Apollon et de la nymphe Cyrène. Ce dieu mineur était spécialisé dans l'art de la médecine et de la divination, mais aussi dans l'art de la laiterie, de l'apiculture et de la culture de la vigne et de l'olivier. Dans sa synthèse, J.-C. Decourt (2004) propose d'y voir, au-delà, "le type du dieu civilisateur, fondamentalement bienfaisant" et considère le caractère rupestre de ce sanctuaire comme un bon reflet de l'image traditionnelle d'Aristée.
On relèvera cependant un aspect particulier du mythe d'Aristée, tel qu'il apparaît dans les Géorgiques de Virgile, qui entre en raisonnance avec la toponymie antique locale. En effet, épris de la dryade Eurydice, Aristée causa sa mort involontairement, peu avant ses noces avec Orphée. Aristée subit alors la colère des dieux et la perte de ses abeilles. La nymphe Cyrène, mère d'Aristée, invita son fils à trouver Protée. À l'invitation de ce dernier, Aristée sacrifia quatre boeufs, quatre taureaux et un mouton noir pour apaiser les mânes d'Eurydice. L'intervention du dieu Protée est d'autant plus intéressante à relever que face à la presqu'île de Giens, où se situe le sanctuaire d'Aristée, se trouve l'île de Porquerolles, laquelle est appelée Prote par Pline (Histoire naturelle, III, 79). Classiquement, le nom antique de cette île est expliqué par le grec ancien πρότη, qui signifie "premier", et que ce nom soulignerait sa position dans les îles d'Hyères. On pourrait donc sérieusement envisager de rapprocher le nom de cette île de celui de ce dieux (3), et au-delà, de proposer d'y reconnaître un cas de dualité île / continent, lié à des sanctuaires. Ce faisant, nous aurions ici un cas partiellement comparable à celui mis en lumière par P. Lajoie (2008), dans son étude relative à Léro, et à son culte sur l'île Saint-Honorat (Antibes, Alpes-Maritimes).
Notes
(1) Ce lieu-dit est officiellement dénommé La Capte, mais les publications lui préfèrent souvent le nom de l'Acapte ou de Tour de l'Acapte.
(2) J.-C. Decourt (2004) évoque 35000 tessons. La publication la plus récente consultée, celle de Carrassan & Deal (2018), fait quant à elle état de "près de 40000 fragments de céramiques".
(3) Ces deux mêmes interprétations sont également alternativement proposées pour expliquer le nom de Πρώτη Μεσσηνίας "Proté de Messénie" (île de Proti, Grèce).
Sources
• M. Bats, (2010) - "Les dédicants gaulois du sanctuaire d'Aristée de la chôra d'Olbia de Provence (Hyères, Var) connaissaient-ils le gallo-grec ?", in: L. Borhy (ed.), Studia celtica classica et romana Nicolae Szabó septuagesimo dedicata, Pytheas, Budapest, pp.51-54
• F. Carrassan & C. Deal, (2018) - "Archéologie et paysage à Hyères : deux sites antiques au coeur d'une Opération grand site", Archéologie et paysage, n°153, pp.24-28
• J. Coupry & M. Giffault, (1984) - "Onomastique non-hellénique dans l'anthroponymie olbienne et massaliète, en Ligurie marseillaise, à la fin de l'époque hellénistique, d'après les ex-voto du sanctuaire d'Aristée à l'Acapte", Collection de l'Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité, vol. 294, Hommages à L. Lerat, pp.209-220
• J.-C. Decourt, (2004) - Inscriptions grecques de la France (IGF), Travaux de la Maison de l'Orient et de la Méditerranée, n°38, 363p.
• P. Lajoye, (2008) - Des dieux gaulois, Petits essais de mythologie, Archaeolingua alapítvány, Series Minor n°26, Budapest, 240p.
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique