Léro - Théonyme connu par deux courtes mentions faites dans l'antiquité. La première attestation provient d'un passage de la Géographie de Strabon dans lequel, décrivant l'île de Λήρων (Lérôn, l'île Saint-Honorat), il indique qu'y existait un ἡρῷόν "hérôon" dédié à Λήρωνος (Lérônos). La seconde attestation provient du couvercle en ivoire découvert lors des fouilles menées au cours de l'été 1981 à Fort-Royal, sur l'île Sainte-Marguerite, site supposé de Vergoanum (Cannes, Alpes-Maritimes). Découvert dans les remblais du IVe s. ap. J.-C., il se trouvait dans une couche remaniant des artefacts provenant de l'Italie centrale et méridionale, datés du IVe au II>e s. av. J.-C. (Coupry & Vindry, 1982). Ce couvercle couvrait un récipient de nature indéterminée, qui constituait une offrande à Λήρωνι (Lérôni) et Ληρίνη (Lériné), adressée par Ἀθήναιος Διονυσίου Νεωπολίτης "Athénaios, fils de Dionysos, de Neapolis" (1). Ainsi, selon cette dernière inscription, Lériné serait la parèdre de Léro.
L'éponymie de ces théonymes avec le nom des deux principales îles de Lérins, telles qu'elles furent mentionnées dans l'Histoire naturelle de Pline (III, 79) et l'Itinéraire d'Antonin (504, 5 ; 504, 6), Léro (l'île Saint-Honorat) et Lerina (l'île Sainte-Marguerite), n'est bien entendu pas anodin. Le couple de divinités, correspond ici à un couple d'îles.
Le couvercle en ivoire du Fort-Royal (Dessin d'après Coupry & Vindry, 1982)
Dés la publication de la découverte de l'offrande d'Athénaios, J. Coupry & G. Vindry (1982) ont proposé de rapprocher ce couple, de celui évoqué par la Vida de San Honorat du troubadour Raymond Féraud (XIIIe s.) ; les serpents monstrueux Léry et Rins. Selon l'étymologie fantaisiste du troubadour, les îles du Lérins tireraient leur nom de ce couple monstrueux. A-t-il transmis le lointain souvenir d'une légende en rapport avec Léro et Lériné ? Au regard de cette légende, aux yeux de J. Coupry & G. Vindry, ces divinités pourraient avoir eu un caractère à la fois chtonien et marin. F. Dercourt (2004) note que le nom de Léro et de sa parèdre ne sont pas grecs, laissant entrevoir la possibilité d'une divinité pré-hellénistique, adoptée par les navigateurs grecs. L'homophonie avec le grec Λήρος "radotage / bagatelle" aurait pu conduire les navigateurs grecs à adopter ces divinités pour conjurer les naufrages. Ainsi, F. Dercourt émet l'hypothèse qu'Athénaios aurait pu faire l'offrande d'un ex-voto, pour remercier les divinités de lui avoir permis d'échapper à un naufrage au large des îles du Lérins. Cette thèse est parfaitement compatible avec les propositions de J.-P. Lelu (1994), H. Fromage (2000) et B. Sergent (2000), qui invitent à rapprocher le nom de Léro de celui du dieu celtique de l'océan ; Ler / Lir en Irlande et Llyr au Pays-de-Galles, où il est surnommé Marini. P. Lajoye (2008) complète cette proposition en rappelant qu'un autel votif dédié au dieu Neptune a été retrouvé sur l'île Sainte-Marguerite, lequel fut incorporé à un petit oratoire du sud de l'île au Moyen-âge (CIL 12, 168). Ainsi, il est tout à fait possible de conjecturer que Léro ait été assimilé à Poséïdon / Neptune.
Mieux, P. Lajoye émet l'hypothèse que la Vie de Saint Mathurin conserverait des fragments de mythologie de Léro :
●
Mathurin était le fils d'un dénommé Marinus, ce qui n'est pas sans rappeler le cas de Manannan, fils de Lir, équivalent irlandais du Llyr Marini du Pays-de-Galles, mentionné dans l'un des textes des Mabinogion. Manannan n'est pas étranger aux récits de navigation celtiques, puisqu'il est mentionné dans La navigation de Bran, fils de Fébal.
●
Mathurin officiait à Larchant (Seine-et-Marne), localité dont le nom pourraît rappeller celui de Léro. En effet, Larchant serait un ancien Leriacum, dont le nom rappelle évidemment celui des deux divinités, mais également celui des deux principales îles du Lérins. Ce toponyme est un composé en Ler(o)-iacum, signifiant littéralement "le domaine de Léro".
●
Mathurin, était réputé pour ses talents de guérisseur de fous. Il fut appelé à Rome par l'empereur pour guérir sa fille, possédée par un démon. Les récits de navigation celtiques font, quant à eux, régulièrement intervenir un héros prenant la mer à l'appel d'une femme.
●
Arrivé sur les rives de la Méditerranée, il fut surpris par une tempête et s'en sortit sain et sauf après avoir adressé une prière à saint Honorat, fondateur du monastère des Lérins, sur l'île Saint-Honorat (2).
●
Faisant escale aux îles du Lérins, il rencontra deux mystérieux moines, qui disparurent sous ses yeux. P. Lajoye compare ces deux moines à Enoch et Elie, habitants de l'île vers laquelle voguaient les héros de plusieurs récits de navigation celtiques. Il émet l'hypothèse qu'ils pourraient correspondre aux Dioscures honorés par les Celtes riverains de l'Océan évoqués par Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, IV, 56).
(1) Plusieurs Neapolis sont attestées. On a souvent conjecturé que celle-ci puisse correspondre à La Napoule (Mandelieu-la-Napoule, Alpes-Maritimes). La plus ancienne attestation de ce toponyme remonte à 1130, sous la forme Epulia, ce qui est guère compatible avec une ancienne Νεωπολίς. (2) On remarquera ici, le parallèle possible avec l'hypothèse de F. Dercourt (2004), faisant de l'offrande d'Athénaios, un ex-voto dédié à des divinités, pour avoir évité un naufrage au large des îles du Lérins.
Pline, Histoire naturelle, III, 79 :"Sur la côte des Gaules, à l'embouchure du Rhodanus, Métina ; puis celle qui est appelée Blascon ; trois Stoechades dénommées par les Massilienses, qui en sont voisins, dans l'ordre de leur situation, Proté, Mésé, appelée aussi Pomponiana ; et la troisième, Hypaea ; plus loin Sturium, Phoenice, Phila, Léro ; et, en face d'Antipolis, Larina, dans laquelle subsiste le souvenir de la ville de Vergoanum."
Strabon, Géographie, IV, 1, 10 :"Les îles qui bordent cette portion si étroite de la côte sont, à partir de Massalia, les îles Stoechades : il y en a trois grandes et deux petites. Les Massaliotes les cultivent. Ils y avaient même établi anciennement un poste militaire pour repousser les descentes des pirates, vu que les ports n'y manquent point. Aux Stoechades succèdent les îles de Planasia et de Léron, bien peuplées toutes deux. Léron, qui plus est, possède un heroon, celui du héros Léron. Elle est située juste en face d'Antipolis".
"A Neptune. Veratia Montana (a fait ce monument)."
Sources
• J. Coupry & G. Vindry, (1982) - "Lérôn et Lériné aux îles de Lérins : un couvercle en ivoire, à dédicace grecque, découvert à l'île Sainte-Marguerite (Cannes)", Revue archéologique de Narbonnaise, vol.15, pp.353-358
• J.-C. Decourt, (2004) - Inscriptions grecques de la France (IGF), Travaux de la Maison de l'Orient et de la Méditerranée, n°38, 360p.
• H. Fromage, (2000) - "Proposition de lecture de la légende de Saint Honorat", in : A. Carénini (dir.), Substitution et Actualisation des mythes, Actes du XVe Congrès de la Société de Mythologie français, 3-5 septembre 1992, Tende - Vallée des Merveilles Mont Bégo, Centre d'Ethnologie des Alpes Méridionales, Omega Editions, Turin, pp.225-233
• P. Lajoye, (2008) - Des dieux gaulois, Petits essais de mythologie, Archaeolingua alapítvány, Series Minor n°26, Budapest, 240p.
• J.-P. Lelu, (1994) - "Deux navigateurs celtiques trop peu connus : Saint Mathurin de Larchant et le Roi Baco de Nantes", Bulletin de la Société de Mythologie française, vol.173, n°3, pp.2-6
• B. Sergent, (2000) - "Le dragon dans l'île", in : A. Carénini (dir.), Substitution et Actualisation des mythes, Actes du XVe Congrès de la Société de Mythologie français, 3-5 septembre 1992, Tende - Vallée des Merveilles Mont Bégo, Centre d'Ethnologie des Alpes Méridionales, Omega Editions, Turin, pp.235-242
• Patrice Lajoye pour l'Arbre Celtique
• Pierre Crombet pour l'Arbre Celtique
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique