Turnacum - Nom antique de Tournai (province de Hainaut, Belgique). Cette localité mentionnée sous la forme Turnacum dans l'Itinéraire d'Antonin (376, 7 ; 377, 2-3 ; 377, 5 ; 378, 9 ; 378, 11), Turnaco sur la Table de Peutinger, ciuitas Turnacensium (var. Tornatensium ; Turnacentium ; Turiacensium) dans la Notice des Gaules, Tornacus par Jérôme de Stridon (Correspondance, Lettre CXXIII, 15a - À Agéruchia), tandis que la Registre des Dignitaires mentionne un Praepositus numeri Turnacensium "préposé de la compagnie des Turnacenses" (Occ. XXVIII). Notons aussi qu'une inscription votive relevée sur un vase, qui mentionne un GENIO TVRNACE(N)SIV(M) "Génie des Turnacenses" (CIL 13, 3565). Ce toponyme est gaulois, on y identifie le terme turno-, qui pourrait signifier "hauteur" (Delamarre, 2003), associé au suffixe locatif gallo-romain -(i)acum. Ainsi, le composé *Turn(o)-acum pourrait se traduire par "le domaine de la hauteur", ou "le domaine de Turnos". Notons en effet que l'anthroponyme Tornos est attesté en Gaule belgique.
La petite agglomération de Turnacum s'est développée sur la rive gauche de l'Escaut (donc juste en face du territoire des Nerviens), au carrefour de deux voies romaines. La première, mais aussi la plus importante, reliait Bagacum (Bavay) à Gesoriacum (Boulogne-sur-Mer). La seconde, de moindre importance, venait de Nematacum (Arras) et poursuivait sa course, au nord-est de Tournai, au-delà de l'Escaut. À ce réseau de voies s'ajoutaient plusieurs autres voies, moins bien reconnues, et de diverticules. Dans ce cadre favorable, Turnacum est resté une modeste localité jusqu'à la transition entre le Ier et le IIe s. ap. J.-C. Au cours du IIe s. ap. J.-C., cette ville connut un essor rapide, au cours duquel les quartiers artisanaux et commerciaux se sont développés sur les deux rives de l'Escaut, tandis que des édifices publics furent érigés. En effet, quelques indices de présence d'édifices collectifs ont été mis au jour, notamment les restes d'une basilique de marché à La Loucherie et d'éventuels thermes publics, identifiés au niveau du vieux-marché-aux-Poissons. À son apogée, entre le IIe et le IIIe s. ap. J.-C., Turnacum finit par couvrir une superficie de 40 à 50 ha selon les estimations, répartis sur les deux rives de l'Escaut (75% sur la rive gauche, 25% sur la rive droite) (Brulet, 1984 ; 2011)
À la transition entre la fin du IIIe s. et le début du IVe s. ap. J.-C., du fait des raids répétés des barbares, la surface de Turnacum se réduisit notablement et la ville fut dotée d'une enceinte fortifiée quadrangulaire, enserrant une superficie estimée de 9 à 18 ha (1) (Mertens & Remy, 1974 ; Brulet, 1984 ; Brulet & Vêche, 1985). Aussi, ce fut certainement au cours de cette période que Turnacum fut érigée en chef-lieu de la cité des Ménapes), aux détriments de Castellum Menapiorum (Cassel). À la toute fin du IVe s., un contingent fut visiblement recruté au niveau de cette ville et déployé à Lemanis (Lympne, Kent, Royaume-Uni) selon le Registre des Dignitaires (Occ. XXVIII).
Par la suite, les troubles s'amplifièrent. Au tout début du Ve s., la ville fut visiblement prise par les barbares et ses habitants déportés en Germanie selon Jérôme de Stridon (2) (Correspondance, Lettre CXXIII, 15a - À Agéruchia). Trois décennies plus tard, vers 432-435 (Rouche, 1996), les Francs saliens de Clodion prirent possession de cette ville et en firent la capitale d'un de leurs royaumes.
(2) Il est communément admis que Jérôme de Stridon évoquait ici l'invasion des Vandales et Suèves, au cours de l'hiver 406-407.
Sources littéraires anciennes
Jérôme de Stridon, Correspondance, Lettre CXXIII, 15a (À Agéruchia) :"Des nations innombrables et d'une férocité inouïe ont envahi les Gaules entières. Tout l'espace renfermé entre les Alpes et les Pyrénées, compris entre l'Océan et le Rhin, tout cet espace, le Quade, le Vandale, le Sarmate, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Saxons, les Burgondes, les Alamans et les Pannoniens, ô déplorable république !, l'ont affreusement dévasté, car " Assur est venu avec eux ". Maguntiacum, noble cité jadis, a été prise et ruinée de fond en comble ; on a massacré dans l'Église plusieurs milliers d'hommes. La ville des Vangions a été détruite après un long siège. La puissante ville des Rèmes, celle des Ambiens, des Atrébates, des Morins, les plus reculés des humains ; Tornacus, celle des Némètes, Argentoratus, ont vu leurs habitants emmenés en Germanie. L'Aquitaine et la Novempopulanie, la province Lugdunaise et la Narbonnaise ont été dévastées, excepté quelques villes, qui n'ont échappé à la menace du glaive , que pour périr de la faim."
Sources épigraphiques
Inscription du vase de Tournai (CIL 13, 3565) GENIO TVRNACE(N)SIV(M)
"Au Génie des Turnacenses."
Sources
• R. Brulet, (1984) - "Le développement topographique et chronologique de Tournai", in : M. Durand (dir.), Les villes de la Gaule Belgique au Haut-Empire, Revue archéologique de Picardie, n°3-4, pp.271-282
• R. Brulet, (2011) - "Tournai : de la ville ouverte à la ville fermée", in : R. Schatzmann & S. Martib-Kilcher (dir.), L'Empire romain en mutation. Répercussions sur les villes dans la deuxième moitié du IIIe siècle, Actes du colloque international de Bern/Augst (Suisse), 3-5 décembre 2009, Archéologie et Histoire Romaine 20, Éditions Monique Mergoil, Montagnac, pp.221-234
• R. Brulet & P. M. Vêche, (1985) - "Les origines de la fortification urbaine à Tournai", in :Les enceintes de Tournai des origines au XIXe siècle, Catalogue de l'exposition présentée à Tournai (Halle-aux-Draps) du 13 avril au 5 mai 1985, Publications extraordinaires de la Société Royale d'Histoire et d'Archéologie de Tournai, Tome II, Tournai, pp.29-40
• J. Mertens & H. Remy, (1974) - Tournai : fouilles à La Loucherie, Archaeologia Belgica, n°165, Service national des fouilles, Bruxelles, 35p.
• M. Rouche, (1996) - Clovis, Éditions Fayard, Paris, 611p.
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique