Les Boïens sont le peuple celte qui laissa son nom à la Bohême (Géographie, VII, 1, 3 ; Velleius Paterculus, Histoireromaine, II, 109 ; Tacite, Germanie, XXVIII, 2 ; Ptolémée, Géographie, II, 11, 20). Leur territoire correspondait donc à l'actuelle Bohême, région collinaire de la haute-vallée de l'Elbe, limitée au nord-ouest par les Monts Métallifères (Sudeta), au nord-est par les Monts des Géants, au sud-est par les Monts de Bohême-Moravie et au sud-ouest par les massifs du Böhmerwald et de l'Oberpfälzer Wald (Gabreta). Selon toute vraisemblance, les oppida de Závist, Stradonice, Nevezice, Trísov, Ceské Lhotice et Hrazany se situaient sur leur territoire (Kruta, 1969 ; Drda & Rybová, 1995). Ce territoire bénéficiait d'une situation privilégiée, le long des voies commerciales suivant le cours de l'Elbe pour se diriger vers l'Italie, près de leur jonction avec les voies commerciales danubiennes.
Nous ne connaissons que très peu d'éléments relatifs à leur histoire. L'archéologie pourrait éventuellement permettre de combler ce vide. Sur un plan archéologique, la transition du Ve s. av. J.-C. avec le IVe s. av. J.-C. fut marqué par des changements profonds affectant l'habitat, la culture matérielle et les nécropoles de Bohême. A l'instar de l'ensemble du monde celtique continental, on assiste au Ve-IVe s. av. J.-C. à l'abandon des habitats fortifiés de hauteur (à l'exception notable de Závist et de quelques autres sites) et à l'émergence d'établissements de plaine, parfois densément peuplés et non-fortifiés (Drda & Rybová, 1995 ; Lejars, 2015). Ces agglomérations furent alors marquées par une organisation sociale rurale, le développement d'activités artisanales spécifiques et devinrent progressivement le nouveau siège de l'élite (Sankot, 2014 ; Lejars, 2015). Sur un plan matériel, entre la fin du Hallstatt et le début de La Tène, on observe une augmentation des échanges avec la Méditerranée (céramiques, artisanat métallurgique,...), principalement la Grèce, l'Étrurie et l'Italie du nord. Les importations, d'abord luxueuses et réservées à l'élite, ont eu tendance à se démocratiser au début de La Tène (Sankot, 2014). Rapidement, des imitations locales ont commencé à apparaître, avant que cette influence ne finisse par conduire à l'émergence d'un style propre à la Bohême, au IVe s. av. J.-C. (Kruta, 1974 ; Sankot, 2014). Les tombes à incinération sous tumulus ou fosses plates de tradition hallstatienne (type de Cítobily), qui perdurèrent tout au long de la transition Hallstatt D-La Tène A, laissèrent place à des tombes plates à inhumation (type de Turnov). Ce faciès qui, en Bohême, marque la période de La Tène B1 à C1, était antérieurement répandue dans les régions du Rhin-central et du haut-Rhin (Kruta, 1969 ; Drda & Rybová, 1995 ; Sankot, 2006&2007). Kruta (1977&2006) laisse entendre que ces changements majeurs qui affectèrent la Bohême pourrait être corrélés à deux événements majeurs : l'installation de populations laténiennes, notamment les Volques Tectosages, dans la région et les invasions celtiques que subit l'Italie du nord au début du IVe s. av. J.-C., auxquelles participèrent activement les Boïens. Cette thèse est séduisante cependant, comme le précise Lejars (2015), ces possibles synchronismes sont délicats, tant la datation du mobilier (notamment méridional) est sujet à débats.
L'une des rares bribes de l'histoire des Boïens qui nous est connue concerne la fin du IIe s. av. J.-C. Strabon (Géographie, VII, 2, 2), évoquant le raid qu'effectuèrent les Cimbres au nord de l'Ιστρος (Ister, le Danube), au niveau de la forêt Hercynienne (entre 120 et 113 av. J.-C.), nous apprend que les Boïens les repoussèrent victorieusement et que ce n'est seulement qu'après qu'ils se dirigèrent vers ce fleuve, qu'ils descendirent en direction du territoire des Scordisques et des Taurisques. Cette précision invite à croire qu'il est ici probablement question des Boïens de Bohême et non des Boïens de Pannonie (dont le territoire était essentiellement au sud de l'Ιστρος (Ister, le Danube). Sur un plan archéologique, Drda & Rybová (1995) indiquent qu'on ne trouve pas en Bohême de traces de destruction contemporaines de l'invasion des Cimbres. Selon ces mêmes auteurs, cette constatation invite à croire qu'ils furent rapidement repoussés et contraints de contourner la Bohême par l'est (en passant par la Silésie et la Moravie), pour rejoindre la vallée du Danube. Une partie des Boïens, s'est peut-être jointe à l'expédition de ces peuples germaniques, d'abord dans les territoires danubiens et ensuite en Italie, où un roi du nom de Boiorix fut tué en 101 av. J.-C. au cours de la bataille de Verceil. Cette hypothèse a été proposée notamment par Kruta (1969, hypothèse réitérée dans ses publications ultérieures). La piste est cependant ténue, Boiorix pouvant tout autant désigner un "roi / chef des Boïens" ou une personne dont la patronyme aurait été gaulois et signifié "roi / chef des frappeurs". Cette dernière piste ne doit pas être sous-estimée puisque trois des quatre chefs cimbres tués à Verceil portaient des patronymes gaulois.
Le dernier évènement connu lié à l'histoire des Boïens est relatif à leur destruction. Nous savons, en effet, qu'à la fin du Ier s. av. J.-C., sinon au tout début du Ier s. ap. J.-C., ils furent défaits par les Marcomans de Maroboduus et leur territoire annexé. Dés lors, comme l'indiquent Strabon (Géographie, VII, 1, 3) et Velleius Paterculus (Histoireromaine, II, 109), le nom de Bohême devint synonyme de "territoire des Marcomans". Que devinrent les Boïens ? Tacite (Germanie, XLII, 1) prétend qu'ils furent expulsés, cependant aucune source antique n'évoque le déplacement de ce peuple quittant la Bohême. Sur un plan archéologique, cette période coïncide avec la fin de l'occupation d'un certain nombre d'oppida, notamment Stradonice, Závist et Hrazany (Kruta, 1969).
Strabon, Géographie, VII, 1, 3 :"Quelques tribus suéviques, celle des Quades notamment, habite l'intérieur même de la forêt : on y rencontre aussi Boiaemum, cette résidence du roi Marobod, qui, pour la peupler, y a transplanté naguère différentes tribus, celle entre autres des Marcomans, ses compatriotes."
Strabon, Géographie, VII, 2, 2 :"Il dit encore que les Boïens, qui habitaient autrefois la forêt Hercynienne, y furent assaillis par les Cimbres, qu'ils les repoussèrent, et que les agresseurs descendirent vers l'Ister et le pays des Galates Scordisques, puis dans celui des Teuristes ou Taurisques, qui étaient aussi des Galates, enfin chez les Helvètes"
Tacite, Germanie, XXVIII, 2 :"Ainsi les Helvètes s'établirent entre la forêt hercynienne, le Rhin et le Main, tandis que les Boiens se fixaient encore plus à l'intérieur. Ce sont deux peuples gaulois. Le nom de Bohême subsiste encore, qui évoque d'antiques souvenirs liés à ce lieu, même si les occupants en ont changé."
Tacite, Germanie, XLII, 1 :"La gloire et la puissance des Marcomans font leur supériorité, tout comme leur territoire qu'ils ont acquis par leur bravoure en expulsant autrefois les Boiens."
Velleius Paterculus, Histoireromaine, II, 109 :"Sentius Saturninus reçut l'ordre de passer par le pays des Chattes, de raser la partie de la forêt Hercynienne qui le borne et de conduire ensuite ses légions jusqu'en Bohême (tel est en effet le nom de la contrée qu'habitait Maroboduus)."
Sources
• Drda P. & Rybová A., (1995) - Les Celtes de Bohême, Editions Errance, Paris, 191p.
• Kruta V., (1969) - " Les Celtes sur le territoire tchécoslovaque ", Rapport sur les conférences 1968-1969, École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques, Paris, pp.221-227
• Kruta V., (1974) - "Archéologie de La Tène", L'habitat et la nécropole à l'Âge du Fer, Actes du Colloque du 3 au 5 octobre 1972, École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques, Paris, pp.317-327
• V. Kruta, (2000) - Les Celtes - Histoire et dictionnaire, Laffont, Paris, 1020p. • Kruta V., (2006) - "Un nouveau peuple : les Volques Tectosages", in. Kruta V. (Ed.) Les Celtes en Bohême, en Moravie et dans le nord de la Gaule, Dossiers d'Archéologie, n°313, pp.22-25
• Lejars T., (2015) - "De l'Âge du fer ancien à l'Âge du fer récent", in. Buchsenschutz O., (Ed.) L'Europe celtique à l'âge du Fer (VIIIe - Ier siècle), Presses Universitaires de France, Paris, pp.120-123
• Sankot P., (2006) - "Le passage du Hallstatt final à La Tène ancienne en Bohême", in. Vitali D., (Ed.) Les Celtes et Gaulois, l'archéologie face à l'histoire, Actes de la table ronde de Bologne (Bologne-Monterenzio, 28-29 mai 2005), Centre archéologique européen de Bibracte, Paris, pp.143-156
• Sankot P., (2007) - "Le rite funéraire de nécropoles laténiennes en Bohême", in. Luca S. A., (Ed.) Funerary Practices in Europe, before and after the Roman Conquest (3rd century BC-3rd century AD), Proceedings of the 8th International Colloquium of Funerary Archaeology, Acta Terrae Septemcastrensis, Alba Iulia, vol. VI, n°1, pp.111-120
• Sankot P., (2014) - "Les relations entre l'Italie du nord et la Bohême à l'époque du Hallstatt et au début de La Tène", in. Rouliere-Lambert M.-J., (Ed.) Les Celtes et le Nord de l'Italie (Premier et Second Âges du fer), Actes du XXXVIe colloque international de l'A.F.E.A.F. et de l'UMR 6298 ARTeHIS (Vérone, 17-20 mai 2012), 36e supplément à la R.A.E., pp.311-326
• Pierre Crombet pour l'Arbre Celtique
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique