Dion Cassius (Histoire romaine, LXIII, 22) et Philostrate d'Athènes (Vie d'Apollonios de Tyane, V, 10) ont tous deux confié à l'écrit les principaux arguments déployés par Caius Julius Vindex dans ses discours. D'après les propos qui lui sont attribués, deux grandes familles de causes l'incitèrent à provoquer ce soulèvement :
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La première famille de causes mentionnée est que la Gaule eut visiblement à souffrir de nombreuses exactions au cours du règne de Néron, lesquelles ne sont pas évidentes à identifier à la lecture des sources antiques. Peut-être est-il possible de voir en ses exactions la manière dont fut ressenti le cens des provinces gauloises de 61-62 ap. J.-C. ? En effet, les recensements servaient notamment de base au calcul de l'impôt, laquelle était parfois jugées injuste, donnait lieu à des contestations et pouvait aboutir à des troubles, tels que ceux qui agitèrent la Gaule, au cours des dernières décennies (1). Une autre cause possible, et parfaitement cumulable avec la précédente, peut être décelée. Suite au grand incendie de Rome (18-24 juillet 64 ap. J.-C.), Tacite indique que Néron exigea des contributions financières exceptionnelles à l'Italie et aux provinces, lesquelles affectèrent tout autant les cités alliées et libres (2). D'après les éléments transmis par Tacite (Annales, XV, 45), Plutarque (Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Galba, IV) et Pausanias (Description de la Grèce, IX, 27, 3-4), partout, les envoyés de l'empereur n'hésitèrent d'ailleurs pas à dépouiller les bâtiments publics et temples, ou encore à s'emparer des offrandes votives et de statues sacrées de valeur. Outre le sacrilège, ces contributions exceptionnelles imposées purent être perçues comme une remise en cause du statut et des avantages accordés à certaines cités.
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La deuxième famille de causes de ce soulèvement aurait été l'ensemble des divers excès, débauches et cruautés imputés à Néron, lesquels sont abondamment décrits dans la littérature. Ces actes auraient été jugés indignes de son statut d'empereur par le gouverneur de la province de Gaule lyonnaise. Ainsi, loin de défendre les intérêts des seules provinces gauloises, Caius Julius Vindex prétendait agir au bénéfice de l'ensemble des Romains.
Un soulèvement ne visant pas à détourner le pouvoir aux profits de son meneur
Loin de vouloir briguer l'empire, Caius Julius Vindex prétendait vouloir délivrer l'empire de son tyran et en confier le pouvoir à une personne plus respectable (Dion Cassius, Histoire romaine, LXIII, 22). Ce fait est révélateur du réalisme de Caius Julius Vindex, dont la province ne disposait d'aucune légion. Toutes étaient cantonnées dans les districts militaires de Germanie supérieure et de Germanie inférieure, largement autonomes (Tacite, Histoires, I, 16). Caius Julius Vindex n'ignorait donc pas qu'une fois sa défection déclarée, les troupes fidèles à Néron cantonnées dans les provinces voisines seraient immanquablement appelées à intervenir contre son soulèvement et qu'il ne pourrait y faire face, sinon en ralliant à sa cause des légions, voire d'autres gouverneurs de provinces (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Galba, IV).
Dion Cassius, Histoire romaine, LXIII, 22 :"Telles étaient ses façons de vivre et de gouverner. Je vais dire comment il fut renversé et comment il tomba du pouvoir. Il y avait un Gaulois, C. Julius Vindex, [Aquitain] du chef de ses ancêtres, issu d'une famille royale, descendant d'un père sénateur romain, robuste, prudent, expérimenté dans le métier des armes et capable des plus grandes entreprises ; [il avait l'an mur de la liberté et de la gloire à un très haut degré ; il était gouverneur de la Gaule]. Ce Vindex ayant rassemblé les Gaulois qui avaient eu beaucoup à souffrir de nombreuses exactions et qui, maintenant encore, avaient à souffrir de Néron, et montant sur une tribune, il s'étendit en un long discours contre Néron, prétendant qu'il fallait se soulever et se révolter contre lui, " parce que, dit-il, il a pillé tout l'univers romain, parce qu'il a fait périr toute la fleur du sénat, parce qu'il a déshonoré et tué sa mère, et ne conserve pas même l'apparence d'un empereur. Bien des meurtres, bien des rapines, bien des violences, ont été maintes fois commis par d'autres ; mais comment pourrait-on dignement retracer le reste ? Je l'ai vu, amis et alliés, croyez-moi, je l'ai vu, cet homme, si c'est un homme que le mari de Sporus, que l'épouse de Pythagoras, dans l'enceinte du théâtre, sur l'orchestre, tantôt une lyre à la main, vêtu de l'habit orthostadien et chaussé du cothurne tragique, tantôt aussi du brodequin comique et avec le masque. Je l'ai entendu plusieurs fois chanter, je l'ai entendu faire le héraut, je l'ai entendu jouer la tragédie. Je l'ai vu chargé de chaînes, je l'ai vu entraîné, je l'ai vu en état de grossesse et en travail d'enfant, disant, entendant, souffrant et faisant tout ce que rapporte la fable. Et on donnerait à un pareil être les noms de César, d'Empereur, d'Auguste ? Non, non ; que nul n'outrage ces noms sacrés. Ces noms, en effet, Auguste et Claude les ont portés ; mais lui, il serait plus juste de l'appeler Thyeste ou Oedipe, Alcméon ou Oreste, car ce sont là les personnages qu'il représente ; ce sont là les titres qu'il prend en place des autres. Levez-vous donc enfin, secourez-vous vous-mêmes, secourez les Romains et délivrez l'univers entier "."
Dion Cassius, Histoire romaine, LXIII, 23 :"Ce discours de Vindex fut accueilli par un accord général. Mais, comme ce n'était pas pour lui que Vindex cherchait la souveraineté, ce fut à Servius Sulpicius Galba, homme supérieur par son équité et son expérience à la guerre, qui commandait en Espagne et qui était à la tête d'une puissante armée, qu'il déféra l'empire ;"
Philostrate d'Athènes, Vie d'Apollonios de Tyane, V, 10 :"A son départ, le gouverneur serra dans ses bras Apollonius, qui lui dit : - Adieu. Souvenez-vous de Vindex. - Que signifiaient ces paroles ? Pendant que Néron chantait en Achaïe, les peuples de l'Occident furent soulevés par Vindex, homme tout à fait capable de couper les cordes que Néron touchait si mal. Il tint à l'armée qu'il commandait un discours contre Néron : ce discours était plein de la plus généreuse philosophie dont on puisse s'inspirer pour parler contre un tyran. Il dit que Néron était tout plutôt que joueur de cithare, et que cependant il était encore plutôt joueur de cithare qu'empereur ; il ajouta qu'il lui reprochait sa démence, son avarice, sa luxure, mais qu'il ne lui reprochait pas le plus grand de ses crimes, son parricide : il avait eu raison de tuer sa mère, puisqu'elle avait enfanté un tel monstre. Apollonius, prévoyant ce qui allait se passer, ménageait à Vindex l'alliance du gouverneur de la province voisine : c'était presque comme s'il eût porté les armes pour Rome."
Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Galba, IV :"A cette époque, Junius Vindex, qui commandait en Gaule, se révolta contre Néron. Avant que la rébellion eût éclaté, Galba reçut des lettres de Vindex, auxquelles il ne voulut pas croire ; mais il ne le dénonça pas, comme plusieurs autres commandants, qui firent passer à Néron les lettres que Vindex leur avait écrites, et qui par là arrêtèrent, autant qu'il était en eux, l'effet de l'entreprise : reconnus dans la suite pour complices de cette révolte, ils convinrent qu'ils ne s'étaient pas moins trahis eux-mêmes qu'ils n'avaient trahi Vindex."