Territoire situé entre la rive droite du Rhin, la basse-vallée du Main et le cours supérieur du Danube, désigné sous le nom de Decumates agros par le seul Tacite, (Germanie, XXIX, 3), autour de 98 ap. J.-C. Cette dénomination n'a visiblement été que très ponctuelle et a disparu à la faveur de l'intégration de ce territoire aux provinces romaines de Germanie supérieure et de Rhétie.
On la rapproche traditionnellement la notion de Decumates agros de celle de decumanus ager "territoire assujetti à la dîme" (du latin decima / decuma "dîme") évoqué par Cicéron en Sicile (Contre Verrès, III, 6) et sur une inscription découverte à Estepa, dans l'ancienne province de Bétique (CIL 02-05, 994 ; 02, 1438 ; AE 1998, 724 ; 2013, 815). On remarque cependant que dans le cas des Decumates agros, le suffixe adjectival locatif -anus est remplacé par le suffixe adjectival marquant l'appartenance -ates. On peut donc supposer qu'il s'agissait littéralement du "territoire de ceux qui sont assujettis à la dîme".
Tacite indique que ce territoire n'était pas peuplé de Germains, mais exploité depuis un certain temps par des Gaulois. L'expression dubiae possessionis solum indique que les Gaulois possédaient ces terres de manière "douteuse", c'est à dire sans titre de propriété. On peut donc supposer que la notion de Decumates agros vient du fait que les autorités romaines exigeaient le paiement de la dîme en contrepartie de l'exploitation de ces terres. L'auteur évoque ensuite l'annexion de cette région par Cnaeus Pinarius Cornelius Clemens entre 72 et 74 ap. J.-C. et le fait qu'elle fut englobée dans le tracé du limes de Germanie. La perception de cet impôt était-elle antérieure ou postérieure à cette annexion ? nous n'en savons rien.
Dans un autre passage, Tacite donne quelques éléments relatifs à l'histoire ancienne de cette région, puisqu'il indique qu'elle était le domaine originel des Helvètes (Germanie, XXVIII, 2). Cette allusion semble corroborée par Ptolémée (Géographie, II, 11, 10), qui évoque une contrée de Grande-Germanie qu'il dénomme Ἐλουητίων Ἔπρημος, le "désert des Helvètes". Les Helvètes quittèrent ce territoire sous la pression des Cimbres et des Teutons à la fin du IIe s. av. J.-C., ou sous celle des Suèves dans la première moitié du Ier s. av. J.-C. Toujours est-il qu'au cours de la Guerre des Gaules (58-51 av. J.-C.), César y a rencontré les Suèves et leurs alliés Harudes, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens et Marcomans. Du temps de Tacite, les Triboques, Vangions et Némètes étaient fixés en Gaule, sur la rive gauche du Rhin (Germanie, XXVIII, 2). Les Marcomans paraissent avoir quitté la région à la transition du Ier s. av. et du Ier s. ap. J.-C.. Nous savons par ailleurs qu'à la même époque, des Hermundures ont été fixés par Lucius Domitius Ahenobarbus dans la région (Dion Cassius, Histoire romaine, LV, 10). A la transition du Ier et du IIe s. ap. J.-C., dans l'extrémité septentrionale de cette région, et plus précisément dans la vallée du Neckar autour de Lopodunum (Ladenburg), des Suèves ont constitué une cité ; la ciuitas Ulpia Sueborum Nicrensium (la "cité ulpienne des Suèves Nicrenses") (1). Rien ne permet de dire s'il s'agissait de groupes de Suèves installés là dans la première moitié du Ier s. av. J.-C., ou s'il s'agissait de Suèves fixés là plus tardivement par les Romains.
(1) La datation proposée pour l'érection de cette nouvelle cité, à savoir la transition du Ier et du IIe s. ap. J.-C., repose le surnom Ulpia qui lui a été attribué. Il faisait référence à la gens de l'empereur Trajan, Marcus Ulpius Nerva Traianus (98-117 ap. J.-C.) et a été attribué à de nombreuses fondations et refondations faites de son temps.
Tacite, Germanie, XXVIII, 2 :"Ainsi les Helvètes s'établirent entre la forêt hercynienne, le Rhin et le Main, tandis que les Boiens se fixaient encore plus à l'intérieur. Ce sont deux peuples gaulois. Le nom de Bohème subsiste encore, qui évoque d'antiques souvenirs liés à ce lieu, même si les occupants en ont changé."
Tacite, Germanie, XXIX, 3 :"Même s'ils se sont fixés entre le Rhin et le Danube, je ne mentionnerai pas au nombre des peuples de Germanie, ceux qui exploitent les Champs Décumates. Enhardis par leur manque de ressources, ce sont de tous les Gaulois les moins intéressants qui ont occupé ce sol à titre précaire. Englobés par la suite dans le tracé de la route frontière où s'établirent des postes plus avancés de nos garnisons, ils sont considérés comme une protubérance de l'Empire et une partie de la province."