Entre la plaine de la Crau et la chaîne des Alpilles
Capitale:
Caenica (Saint-Pierre de Vence, Eyguières)
Caenicètes / Caenicenses - Peuplade de Gaule narbonnaise mentionnée sur une médaille datée de la fin du IIe s. av. J.-C. ou du début du Ier s. av. J.-C. sous la forme ΚΑΙΝΙ/ΚΗΤΩΝ (BN 514 ; Cab. des Méd., n° 2245-2246) et par Pline sous la forme Caenicenses (var. Caenicendes) (Histoire naturelle, III, 36). Les attestations numismatiques en caractères grecs ΚΑΙΝΙ/ΚΗΤΩΝ sont génitif pluriel Καινικητῶν "Kainikêtôn" (1), lequel suppose un nominatif pluriel Καινικηται "Kainikêtai". Selon toute vraisemblance, cet ethnonyme dérive du nom d'une localité *Caenica, associé au suffixe -eti qui signifie "territoire". Les Caenicètes auraient été littéralement "(ceux) du territoire de Caenica". La dénomination latine est assez proche, il s'agît d'un gentilé signifiant "ceux / les habitants de Caenica".
La localisation des Caenicenses demeure imprécise, bien que de nombreux travaux soient venus nous éclairer à ce sujet. Dans sa traduction de l'Histoire naturelle de Pline, Jean Hardouin (1685) est le premier à avoir rapproché le nom des Caenicenses, de celui du fleuve Καινος "Caenus" de Ptolémée (Géographie, II, 10, 8). D'après ce géographe, ce fleuve s'écoulait sur le territoire de la cité des Αὐατικῶν "Avatiques", entre Μαριτίμα "Maritima" (Maritigue) et Μασσαλία "Massalia" (Marseille). Cette rivière est régulièrement identifiée comme étant l'actuelle Touloubre ou l'Arc. Prenant en compte ces résultats, sur la foi de conjectures toponymiques, L.-R.-X. de Lagoy de Meyran (1834) a proposé de localiser les Caenicenses dans la région de Lançon-Provence ou de Vernègues (où se trouvait un lieu-dit lou Camp de Caën). En 1969, G. Barruol émit à son tour l'hypothèse que le fleuve Καινος de Ptolémée (Géographie, II, 10, 8), puisse être l'équivalent du Σηκοάνος d'Artémidore d'Éphèse (Descriptions géographiques, I, cité par Étienne de Byzance, Ethniques, 216). Ce faisant, il rapproche aussi les Caenicenses de Pline (Histoire naturelle, III, 36), des Σηκόανοί d'Artémidore d'Éphèse (Descriptions géographiques, I, cité par Étienne de Byzance, Ethniques, 216) (2). L'exploitation des morceaux des cadastres d'Oranges apporta des précisions supplémentaires. En effet, le nom d'une localité dénommée CANICA pourrait avoir été identifié sur un fragment du cadastre d'Orange A, localité qu'il conviendrait de situer au sud-est d'Eyguières (Chouquer & Favory, 1992). Il s'agirait du site du vicus identifié au niveau du lieu-dit mas Saint-Pierre de Vence à Eyguières, occupé entre la fin du Ier s. av. J.-C. et le IVe s. ap. J.-C., situé en contrebas de l'oppidum de Sainte-Cécile (VIe-Ier s. av. J.-C.) (Poguet et al., 2002). Cette dernière proposition est désormais reprise dans toutes les publications contemporaines.
Selon L.-R.-X. de Lagoy de Meyran (1834), il est également fort possible que l'on trouve trace de cette peuplade dans un passage de l'Histoire naturelle de Pline, inspiré par les Origines de Caton. En effet, il y est question de Cenomanos iuxta Massiliam habitasse in Volcis, "les Cénomans ont habité auprès de Marseille parmi les Volques" (Pline, Histoire naturelle, III, 130). Tout porte à croire que les Cenomanos de Caton ne soient autres que les Caenicenses. Si l'hypothèse de Lagoy de Meyran (1834) est correcte, il est possible que les Caenicenses aient pu être considérés comme les ancêtres des Cénomans arrivés en Italie au début du IVe s. av. J.-C.
Selon toute vraisemblance, l'oppidum de Caenica appartenait à l'origine aux Salyens. Dans des circonstances inconnues, au cours du Ier s. av. J.-C., cet oppidum (et de nombreux autres) furent détachés de ce peuple et ses habitants gratifiés du droit latin. C'est ainsi qu'à la fin du Ier s. ap. J.-C., Pline (Histoire naturelle, III, 36) a mentionné les Caenicences comme constituant l'un des oppida latina de la province de Gaule narbonnaise.
L'Histoire naturelle étant l'unique source attestant l'existence de cette petite cité, tout porte à croire qu'elle fut rapidement amalgamée à une de ses voisines, dés le Ier s. ap. J.-C. Le territoire de la cité salyennes des Caenicenses, dépendait du diocèse d'Avignon au Moyen-âge, héritier de la cité cavare des Avennienses. Aucune source n'évoque les conditions qui entraînèrent cette réorganisation, ni même la date de celle-ci. Deux hypothèses peuvent être proposées :
●
La première est celle d'un rattachement ancien des éphémères cités des Caenicenses, à la cité des Avennienses, dés le début du Ier s. ap. J.-C., dont on pourrait trouver une allusion chez Strabon. En effet, il indique que de son temps, le territoire des Cavares tendait à s'étendre au détriment de celui des Salyens, tant et si bien que les Volques Arécomiques n'eurent bientôt plus que ce peuple face à eux, sur la rive gauche du Rhône (Géographie, IV, 1, 12).
●
La seconde impliquerait un rattachement de l'éphémère cité des Caenicenses à celle des Glanienses au Ier s. ap. J.-C., puisque elle seule parmi les petites cités de la portion occidentale du territoire des Salyens (exception de la seule cité des Arelatenses) se maintint au-delà de cette période. Elle fut à son tour amalgamée à celle des Avennienses, mais pas avant le IIIe s. ap. J.-C. (3).
.
(1) Le génitif pluriel est le cas grammatical le plus fréquemment utilisé sur les monnayages grecs. Il sert à marquer un complément de nom et exprime bien souvent la possession. Dans ce cas, l'emploi du génitif pluriel exprime le fait qu'il s'agît d'une "(monnaie) des Caenicètes".
(2) En se basant sur les Descriptions géographiques d'Artémidore d'Éphèse (début du Ier s. av. J.-C.), Étienne de Byzance indique que les Σηκόανοί se trouvaient sous la dépendance de Massalia. Beaucoup de travaux considèrent ce passage comme erroné, et préfèrent rapprocher l'hydronyme Σηκοάνος de Sequana (la Seine) et l'ethnonyme Σηκόανοί de celui des Séquanes.
(3) La cité des Glanienses existait toujours au cours du règne de Septime Sévère (193-211 ap. J.-C.), comme l'attestent une série d'inscription honorifiques faites à la famille impériale, élevées dans le forum de Glanum à cette époque (AE 1992, 1186 ; 1187 et 1188).
Étienne de Byzance, Ethniques, 216 :"Secoanos, fleuve des Massaliotes, d'où l'ethnique Secoanoi, selon Artémidore, livre Ier"
Pline, Histoire naturelle, III, 36-37 :"Dans l'intérieur des terres, colonies : Arles de la sixième légion, Béziers de la septième, Orange de la seconde ; dans le territoire des Cavares, Valence, des Allobroges Vienne ; villes latines : Aix des Salluviens, Avignon des Cavares, Apta Julia des Vulgientes, Alébécé des Reies Apollinaires, Alba des Helves, Augusta des Tricastins, Anatilia, Aeria, Bormanni, Comacina, Cabellio, Carcasum des Volces Tectosages, Cessero, Carpentoracte des Mémines, les Caenicenses, les Cambolectres, surnommés Atlantiques, Forum Voconii, Glanum Livii ; les Lutevans, appelés aussi Foroneronienses ; Nîmes des Arécomiques, Piscènes, les Rutènes, les Samnagenses ; Toulouse des Tectosages, sur la frontière de l'Aquitaine ; les Tascons, les Tarusconienses, les Umbraniques ; les deux capitales de la cité des Vocontiens alliés, Vasio et Lucus Augusti ; dix-neuf villes sans renom, de même que vingt-quatre attribuées à Nîmes."
Pline, Histoire naturelle, III, 130 :"Dans l'intérieur de la dixième région, colonies, Crémone, Brixia, dans le territoire des Cenomans ; chez les Vénètes, Ateste, et les villes d'Acelum, de Padoue, d'Opitergium, de Bellune, Vicence, et Mantoue, la seule ville transpadane qui reste des Étrusques. Caton pense que les Vénètes sont d'origine troyenne, et que les Cénomans ont habité auprès de Marseille parmi les Volces."
Strabon, Géographie, IV, 1, 12 :"De l'autre côté du fleuve, ce sont les Volces qui occupent la plus grande partie du pays, les Volces dits Arécomisques. Narbonne passe pour être leur port, il serait plus juste de dire qu'elle est celui de la Gaule entière, tant elle surpasse les autres villes maritimes par l'importance et l'activité de son commerce. Les Volces touchent au Rhône et voient s'étendre en face d'eux, sur la rive opposée, les possessions des Salyens et des Cavares, [disons mieux, des Cavares seuls,] car le nom de ce peuple l'a emporté sur tous les autres, et l'on commence à ne plus appeler autrement les Barbares de cette rive, lesquels d'ailleurs ne sont plus, à proprement parler, des Barbares, vu qu'ils tendent de plus en plus à prendre la physionomie romaine, adoptant tous la langue, les moeurs, voire même quelques-uns les institutions des Romains."
Sources
• G. Barruol, (1969) - Les peuples préromains du Sud-Est de la Gaule. Étude de géographie historique, Paris, éditions De Boccard, 408p.
• G. Chouquer & F. Favory, (1992) - Les arpenteurs romains. Théorie et pratique, Paris, éditions Errance, 183p.
• L.-R.-X. de Lagoy de Meyran (1834) - Description de quelques médailles inédites de Massilia : de Glanum, des Caenicenses et des Auscii, Aix, imprimerie de Pontier, 40p.
• M. Poguet et al., (2002) - "Saint-Pierre 2 (Eyguières, B.-du-R.) : un vicus des Ier et IIe s. ap. J.-C. ?", Revue archéologique de Narbonnaise, n°35, pp.157-162
• Julien Quiret pour l'Arbre Celtique