Les campagnes de Cnaeus Iulius Agricola (77-84 ap. J.-C.)
Au cours de l'été 77 ap. J.-C., Cnaeus Iulius Agricola, ancien gouverneur de la province de Gaule aquitaine (74 à 76 ap. J.-C.) et ancien consul suffect (début de l'année 77 ap. J.-C.), prit la succession de Sextus Iulius Frontinus à la tête de la Bretagne. Cette province ne lui était aucunement inconnue puisqu'il y avait déjà officié à deux reprises :
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Entre 58 et 62 ap. J.-C. il y effectua un premier séjour en tant que tribun militaire (probablement dans la légion II Augusta), au cours duquel il participa à la répression de la seconde révolte des Icéniens (61 ap. J.-C.), sous le commandement de Caius Suetonius Paulinus (Tacite, Vie d'Agricola, V).
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De 70 à 73 ap. J.-C. il commanda la légion XX Valeria Victrix, lorsque Marcus Vettius Bolanus, puis Quintus Petillius Cerialis, gouvernaient la province (Vie d'Agricola, VII-VIII). Il est fort probable qu'il participa auprès de ce dernier à la pacification des Brigantes (entre 71 et 74 ap. J.-C.).
Du fait de cette expérience, Cnaeus Iulius Agricola est donc arrivé en Bretagne en ayant une parfaite connaissance des difficultés rencontrées par ses prédécesseurs, lesquels ne sont pas parvenus à endiguer le risque de révolte dans la province, ni à la protéger efficacement contre les menaces extérieures. A la différence des ses prédécesseurs, Cnaeus Iulius Agricola semble être arrivé dans cette province avec une stratégie bien établie, ce dont témoignent les trois grandes phases que l'on peut distinguer dans son mandat :
De 79 à 84 ap. J.-C. la province qu'il administrait et sa périphérie immédiate étant pacifiées, Cnaeus Iulius Agricola put se permettre de s'en éloigner et d'entreprendre la conquête des portions septentrionales de l'île de Bretagne.
La stratégie établie par Cnaeus Iulius Agricola fut couronnée de succès, si bien qu'au terme de sa mission, il reçut les ornements triomphaux. Selon Tacite et Dion Cassius, le mandat du gouverneur de la province de Bretagne fut brusquement interrompu par l'empereur Domitien, en raison de la jalousie que lui inspiraient ses exploits (Vie d'Agricola, XXXIX-XL ; Histoire romaine, LXVI, 20). Tacite ayant été le gendre d'Agrippa et à ce titre un adversaire acharné de Domitien, il est délicat de se contenter de son témoignage. On relèvera néanmoins que Cnaeus Iulius Agricola semble avoir conçu les plans d'une quatrième phase dans son mandat, laquelle avorta. En effet, dés 81 ap. J.-C., des troupes romaines furent déployées le long de la Mer d'Irlande en prévision d'une future campagne en Hibernie qui, du fait de la décision prise par Domitien, n'eut jamais lieu.
Cnaeus Iulius Agricola reçoit les ornements triomphaux [84]
Tacite, Vie d'Agricola, V :"Il s'initia à la vie militaire en Bretagne, sous le commandement de Suetonius Paulinus ; efficient et équilibré, celui-ci le remarqua et l'attacha à sa personne pour pouvoir l'apprécier à sa plus juste valeur. Agricola s'interdisait de vivre sans normes, comme le font d'autres jeunes pour qui la vie militaire est synonyme de débauche. Il ne se laissa pas gagner par la mollesse de ceux qui portent le titre de tribun sans en avoir les compétences et ne recherchent que plaisirs et permissions. Au contraire, il ne voulait que mieux connaître cette province et se faire connaître de l'armée. Il se formait auprès d'hommes d'expérience et se rapprochait de l'élite. Il ne visait à rien par bravade, mais jamais l'effroi ne le faisait reculer. Il se montrait à la fois circonspect et énergique dans l'action. La situation de la Bretagne était alors agitée et inquiétante comme jamais : on massacrait des vétérans, on incendiait les colonies, on contrariait les déplacements de nos troupes. Notre armée se battit pour survivre. Par la suite, elle n'eut plus qu'à conforter sa victoire. Toutes ces actions étaient menées et décidées par un autre qu'Agricola et c'est à son chef qu'on attribua l'ensemble des opérations et que revint la gloire d'avoir reconquis la province. Toutefois, le jeune homme en retira savoir-faire et expérience. Il brûlait d'en faire plus. Il désirait atteindre la gloire par les armes. Étrange projet pour une époque qui n'avait que mépris pour les hommes d'exception et qui considérait qu'une grande renommée n'entraînait pas moins de risques qu'une mauvaise réputation."
Tacite, Vie d'Agricola, VII :"Dans un premier temps, le pouvoir impérial était exercé à Rome par Mucien, qui avait en main la situation de la ville. Domitien, encore assez jeune, ne profitait de la bonne fortune de son père que pour se méconduire. Mucien fit lever des troupes par Agricola, qui remplit cette mission avec intégrité et énergie. Il le nomma ensuite à la tête de la vingtième légion, qui avait bien hésité à prêter serment d'allégeance et dont le commandant sortant traînait une réputation de factieux. En fait cette légion indisciplinée faisait peur, même à des légats consulaires, et ce légat prétorien n'avait pu en venir à bout. Était-ce de sa faute ou de celle des soldats, on n'en sait trop rien. En confiant cette mission à Agricola, on attendait de lui qu'il sévisse. Or il fit preuve d'une modération exceptionnelle et préféra donner à croire qu'il avait trouvé des hommes dans le rang sans avoir dû les contraindre à y rentrer."
Tacite, Vie d'Agricola, VIII :"A ce moment-là, Vettius Bolanus était gouverneur de Bretagne et sa douceur s'accordait mal avec l'agressivité de ses administrés. Agricola contint son énergie et son brûlant désir d'ascension : il était assez habile pour composer avec l'ordre établi et rompu à concilier ses intérêts avec un comportement irréprochable. Peu après, la Bretagne échut à Petilius Cerealis et les qualités guerrières d'Agricola purent enfin se déployer. Au début Cerealis ne lui faisait partager que difficultés et dangers, mais, par la suite, l'associa à sa propre gloire. Souvent, pour éprouver la valeur d'Agricola, il lui confiait une partie de l'armée. Parfois, en raison de ses succès, il lui faisait commander des troupes assez nombreuses. Jamais Agricola ne se targua de ses exploits pour faire parler de lui, mais, en tant que subordonné, il n'attribuait le succès d'une opération qu'aux initiatives de son supérieur. Valeureux, il restait déférent. La réserve marquait ses prises de paroles. Aussi évitait-il l'envie sans pour autant rester à l'écart de la gloire."