Ne trouvant pas dans leurs cultures de parfaits équivalents aux bardes, les auteurs gréco-romains ont été contraints de définir cette fonction, par des mots approchants. Ainsi, Posidonios d'Apamée (Histoires, XXIII, cité par Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, VI, 49) les qualifie d'ἀκούσματα "chantres / chanteurs", avant de définir leur fonction comme un équivalent des ποιηταὶ "poètes", Strabon (Géographie, IV, 4, 4) en fait des ὑμνηταὶ "hymnographes / compositeurs d'hymnes" et ποιηταί "poètes", Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31) des ποιηταί "poètes", Festus Grammaticus (De la signification des mots, II) fait du barde un cantor "chanteur", tout comme Hésychios d'Alexandrie (Lexique, Β 230), qui les désigne comme ἀοιδοὶ "chanteurs". Ainsi, il convient de considérer les bardes comme des chantres ayant élevé l'éloquence, pour laquelle étaient réputés les Gaulois, au rang d'art (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 31).
La dimension religieuse de cette fonction, mentionnée par Timagène d'Alexandrie (cité par Ammien Marcellin, Histoire de Rome, XV, 9, 8), Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31) et Strabon (Géographie, IV, 4, 4), est délicate à cerner, mais pourrait laisser sous-entendre que leur talent était réputé être d'inspiration divine, à moins que les thèmes abordés n'aient eu une connotation religieuse. A partir de ce que l'on sait des pouvoirs que les Celtes insulaires et les autres cultures indo-européennes attribuaient aux paroles des poètes, il est possible de supposer que les compositions interprétées par les bardes aient pu être réputées magiques.
Le nom que les Gaulois attribuaient à ces membres de la fonction sacerdotale devait être bardos, mot qui signifiait peut-être plus généralement "poète", ou plus précisément par "chantre".
Des oeuvres épidictiques chantées et mises en musique.
De l'avis des sources antiques, les bardes officiaient en composant et interprétant des oeuvres chantées. Posidonios d'Apamée (Histoires, XXIII, cité par Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, VI, 49) qualifie leurs oeuvres d'ἐγκώμια "éloges", d'ἐπαίνους "louanges" et d'ᾠδῆς "odes", Ammien Marcellin (Histoire de Rome, XV, 9, 8, traduisant Timagène d'Alexandrie) de conposita versibus "composition de vers / poésie", Lucain (Pharsale, I, 448) et Festus Grammaticus (De la signification des mots, II) de laudibus / laudes "louanges". Bien que ces auteurs insistent sur la dimension panégyrique de leurs oeuvres, nous savons par Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31) qu'en plus de l'ὑμνοῦσιν "hymne", ils excellaient également dans le βλασφημοῦσι, le "dénigrement / blâme". Ceci implique que leurs compositions couvraient toutes les dimensions du registre épidictique.
Sur un plan stylistique, Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31) a observé un certain nombre de figures de styles communément utilisées par les Gaulois : la brièveté de leurs propos et le recours aux énigmes sous-entendent peut-être l'usage de la parabole et précise qu'ils recouraient également à l'hyperbole pour se valoriser ou dénigrer, impliquant nécessairement l'usage d'autres figures de style, telles que la métaphore, l'allégorie, la métonymie et la comparaison. Enfin, le même auteur indique également que la tonalité de leurs propos était hautaine, menaçante et portée au tragique. Les auteur antique indiquent que les bardes pouvaient s'adresser aux foules, pour obtenir l'adhésion des masses, ce qui implique le recours à des styles et des tonalités qui n'étaient pas étrangères au commun des mortels, peut-être étaient-ce les mêmes que ceux relevés Diodore de Sicile ? Très certainement. En effet, Diogène Laërce (Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, I, Préface, 6) évoquant les druides (dans un sens semble-t-il très large), leur prête un mode d'expression à la fois énigmatique et sentencieux, ce qui correspond assez bien à ce rapporte Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31). Un passage des Histoires de Posidonios d'Apamée (Histoires, XXIII, cité par Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, IV, 37) conserve très probablement l'ultime fragment de l'éloge d'un barde au roi Luernos ; "la terre où Luernius poussait son char, devenait sous ses pas une source d'or et de bienfaits pour les hommes"
Nous devons à Posidonios d'Apamée (Histoires, XXIII, cité par Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, VI, 49), la plus ancienne description connue des bardes, celle-ci remonte au début du Ier s. av. J.-C. Cette description n'est, hélas, pas la plus flatteuse puisque les bardes y sont qualifiés de παράσιτος "parasite / personne vivant aux dépens des autres", notion qui n'était pas mieux connotée que de nos jours. Posidonios d'Apamée indique que ce sont les Celtes qui les désignaient ainsi. Il fournit donc ici une traduction littérale de cette désignation, mais rien n'indique que le terme originel avait cette même connotation négative chez les Celtes. Au-delà, dans le passage en question, Posidonios d'Apamée indique que le barde mettait son éloquence au service d'un particulier, pour en faire le panégyrique sous une forme chantée, à destination de son commanditaire lui-même, ou à destination de tiers. L'idée était certainement ici de promouvoir le commanditaire et d'intimider ses éventuels détracteurs. Dans un autre passage du 23e livre des Histoires de Posidonios d'Apamée (également conservé par Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, IV, 37), il est fait mention d'un ποιητὴν "poète" richement rémunéré par le roi Luernos après lui avoir chanté ses louanges. Appien d'Alexandrie (Celtique, XII) mentionne un μουσικός ("musicien", terme qu'Edmé de Cougny a traduit par "poète") ayant accompagné l'ambassadeur du roi Bituitos auprès du consul Cnaeus Domitius Ahenobarbus (122 av. J.-C.). Les Arvernes (confondus avec les Allobroges par Appien) voulaient que le consul renonce à mener une campagne contre leurs alliés, les Allobroges. Aux dires d'Appien, le "musicien" fut envoyé pour chanter les louanges de Bituitos (fils de Luernos), des Arvernes et de l'ambassadeur lui-même. Trois thèmes ont été abordés dans ces chants laudatifs ; (le prestige de) leur naissance, leur courage et leur richesse. Outre le fait de chercher à séduire Cnaeus Domitius Ahenobarbus, l'idée était très certainement ici d'intimider un potentiel adversaire, en mettant en exergue la valeur et la puissance de son commanditaire. Ce "musicien" correspond très fidèlement au portrait que Posidonios d'Apamée dresse du barde.
Une éloquence utilisée pour célébrer la mémoire des héros et exalter l'héroïsme.
Autre thème de prédilection des bardes, célébrer par leurs poésies la mémoire des héros (Timagène d'Alexandrie, cité par Ammien Marcellin, Histoire de Rome, XV, 9, 8 ; Festus Grammaticus, De la signification des mots, II) et plus particulièrement ceux qui furent tués au combat (Lucain, Pharsale, I, 448 ; Élien, Histoire variée, XII, 23). Plus que la simple célébration d'hommes glorieux, on devine ici qu'il s'agissait de célébrer des vertus et d'exalter des valeurs à travers l'exemple donné. Cette dimension de l'oeuvre des bardes trouve un écho chez Diogène Laërce (Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres , I, Préface, 6), puisque selon lui, les druides faisaient trois recommandations à leur auditoire, la troisième étant " de s'exercer au courage / à la bravoure ". Les poèmes épiques des bardes fournissaient des modèles de bravoure ou de courage, que les hommes auxquels ils s'adressaient, avaient le devoir sacré d'imiter. Élien (Histoire variée, XII, 23), qui ne mentionne pas nommément les bardes, fournit peut-être un indice permettant de savoir dans quel contexte avaient lieu ces récitations de poésies épiques, célébrant la mémoire des héros morts au combat. En effet, une certaine logique se dessine à la lecture de son énumération. Après avoir annoncé que les Celtes affrontaient le danger avec intrépidité, il mentionne ces célébrations des exploits des héros, puis la manière désinvolte avec laquelle les guerriers se lançaient au combat et enfin l'élévation de trophées après le triomphe. Si l'ordre de succession de ces informations n'est pas le fruit du hasard, il apparaît ici que ces chants avaient lieu avant la bataille, de manière à exalter les combattants et à les inviter à s'inspirer des actions et vertus des héros.
Des chantres respectés et écoutés par les masses.
Employés par des commanditaires pour faire et défaire des réputations, pour galvaniser les soldats ou promouvoir certaines vertus, les bardes pouvaient le cas échéant, user de leur talent pour apaiser des troupes déchaînées. Ainsi, Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31) en évoque se jetant entre des combattants prêts à en découdre, et finalement les apaiser par leurs paroles. Strabon (Géographie, IV, 4, 4) évoque une même anecdote, mais attribue ce talent oratoire aux druides.
La diatribe et la satyre.
Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, V, 31) précise que l'éloquence des bardes n'était pas uniquement utilisée pour célébrer des vertus, mais également pour chanter le blâme. A travers cette courte allusion, nous devinons donc que les bardes maîtrisaient toutes les composantes du discours épidictique et pouvaient, à l'occasion, se livrer à la diatribe ou à la satyre pour dénigrer les adversaires de leurs commanditaires ou les adversaires de certaines valeurs. Si l'on considère que les chants des bardes ont été perçus comme magique, on imagine aisément qu'un chant hostile ait pu être considéré comme une incantation nuisible, pouvant amener à la perdition.
Au moyen-âge, chez les Celtes insulaires, les bardes étaient réputés composer de violentes satyres à l'encontre de commanditaires mauvais-payeurs. Il est fort probable que les bardes de l'antiquité se comportaient de la même manière lorsqu'ils étaient confrontés à un commanditaire indélicat.
Sources littéraires anciennes
Appien, Celtique, XII :"Les Salyens ayant été vaincus par les Romains, les chefs de ce peuple se réfugièrent chez les Allobroges ; les Romains en réclamèrent l'extradition. Sur le refus des Allobroges, ils envoyèrent une expédition commandée par Cneius Domitius. Au moment où le général quittait le territoire des Salyens, un ambassadeur de Bituit, roi des Allobroges [en réalité, des Arvernes], en somptueux équipage, vint au devant de lui : il était escorté de gardes richement vêtus et de chiens. Les barbares en ces contrées ont aussi une garde de chiens. Un poète suivait, qui dans une poésie barbare chantait le roi Bituit, puis les Allobroges, puis l'ambassadeur lui-même, leur naissance, leur courage et leurs richesses ; c'est même pour cela surtout que parmi les ambassadeurs ceux qui sont illustres emmènent avec eux des gens de cette sorte. Celui-ci demanda grâce pour les chefs des Salyens, mais sans rien obtenir."
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 31 :"Les Gaulois sont d'un aspect effrayant ; ils ont la voix forte et tout à fait rude ; ils parlent peu dans leurs conversations, s'expriment par énigmes et affectent dans leur langage de laisser deviner la plupart des choses. Ils emploient beaucoup l'hyperbole, soit pour se vanter eux-mêmes, soit pour ravaler les autres. Dans leurs discours ils sont menaçants, hautains et portés au tragique ; ils sont cependant intelligents et capables de s'instruire. Ils ont aussi des poètes qu'ils appellent bardes, et qui chantent la louange ou le blâme, en s'accompagnant sur des instruments semblables aux lyres. […] Ces philosophes ont une grande autorité dans les affaires de la paix aussi bien que dans celles de la guerre ; amis et ennemis obéissent aux chants des bardes. Souvent, lorsque deux armées se trouvent en présence, et que les épées sont déjà tirées et les lances en arrêt, les bardes se jettent au-devant des combattants, et les apaisent comme on dompte par enchantement les bêtes féroces. C'est ainsi que, même parmi les Barbares les plus sauvages, la colère cède à la sagesse, et que Mars respecte les muses."
Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres , I, Préface, 6 :"Ceux qui vont chercher l'origine de la philosophie chez les barbares, indiquent aussi les particularités de leurs doctrines. Ainsi ils disent que les gymnosophistes et les druides s'énonçaient en termes énigmatiques et sentencieux, qu'ils recommandaient d'honorer les dieux, de s'abstenir du mal et de s'exercer au courage."
Élien, Histoire variée, XII, 23 :"Il n'y a point de nation qui affronte les dangers avec autant d'intrépidité que les Celtes. Ils célèbrent, par des chansons, la mémoire de ceux qui meurent glorieusement à la guerre ; ils vont au combat, la tête couronnée de fleurs ; fiers de leurs grandes actions, ils élèvent des trophées, pour laisser à la postérité, suivant l'usage des Grecs, des monuments de leur valeur. "
Festus Grammaticus, De la signification des mots, II :"BARDUS. C'est le nom gaulois d'un chantre qui chante les exploits des hommes courageux, de la race des Bardes dont parle Lucain : Plurima securi fudistis carmina Bardi."
Hésychios d'Alexandrie, Lexique, Β 230 :"bardoí : chanteurs chez les Galates"
Lucain, Pharsale, I, 448 :"Vous bardes, recommencez vos chants, qui consacrez par des louanges immortelles la mémoire des hommes vaillants frappés dans les combats."
Posidonios d'Apamée, Histoires, XXIII (cité par Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, IV, 37) :"Posidonius, détaillant quelles étaient les richesses de Luernius, père de ce Bituit que les Romains tuèrent, dit que, pour capter la bienveillance du peuple, il parcourait les campagnes sur un char, répandant de l'or et de l'argent à des myriades de Celtes qui le suivaient. Il fit une enceinte carrée de douze stades, où l'on tint, toutes pleines, des cuves d'excellente boisson, et une si grande quantité de choses à manger, que pendant nombre de jours ceux qui voulurent y entrer eurent la liberté de se repaître de ces aliments, étant servis sans intermission. Une autre fois, il assigna le jour d'un festin. Un poète de ces peuples barbares étant arrivé trop tard, se présenta cependant devant lui, et chanta ses éminentes qualités, mais lâchant quelques larmes de ce qu'il était venu trop tard. Luernius, flatté de ces éloges, se fait donner une bourse d'or, et la jette à ce poète, qui courait à côté de lui. Le poète la ramassant, le chante de nouveau, disant que la terre où Luernius poussait son char, devenait sous ses pas une source d'or et de bienfaits pour les hommes. Ces détails se trouvent dans le vingt-troisième livre de Posidonius."
Posidonios d'Apamée, Histoires, XXIII (cité pat Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, VI, 49) :"Posidonius d'Apamée dit, dans le livre 23 de ses histoires : Les Celtes mènent toujours avec eux à la guerre des gens qu'ils nourrissent et qu'ils appellent Parasites. Ces compagnons de table célèbrent leurs louanges, soit devant la foule qui se réunit, soit devant chaque particulier que ces éloges intéressent. Or, leurs chantres sont ceux qu'ils appellent Bardes, c'est-à-dire, des poètes qui publient leurs louanges dans des chansons."
Strabon, Géographie, IV, 4, 4 :"Chez tous les peuples gaulois sans exception se retrouvent trois classes d'hommes qui sont l'objet d'honneurs extraordinaires, à savoir les Bardes, les Vatès et les Druides, les Bardes, autrement dits les chantres sacrés, les Vatés, autrement dits les devins qui président aux sacrifices et interrogent la nature, enfin les Druides, qui, indépendamment de la physiologie ou philosophie naturelle, professent l'éthique ou philosophie morale. Ces derniers sont réputés les plus justes des hommes, et, à ce titre, c'est à eux que l'on confie l'arbitrage des contestations soit privées soit publiques : anciennement, les causes des guerres elles-mêmes étaient soumises à leur examen et on les a vus quelquefois arrêter les parties belligérantes comme elles étaient sur le point d'en venir aux mains."
Timagène d'Alexandrie (cité par Ammien Marcellin, Histoire de Rome, XV, 9, 8) :"Insensiblement la civilisation s'introduisit chez ce peuple : il prit goût au culte de l'intelligence, sous l'inspiration de ses bardes, de ses eubages et de ses druides. Les bardes célébraient les grandes actions dans des chants héroïques, où se mariaient les doux accords de la lyre ; les eubages interrogeaient, commentaient les sublimes secrets de la nature. Quant aux druides, leurs spéculations étaient encore d'un ordre plus élevé : formés en communautés dont les statuts étaient l'oeuvre de Pythagore, l'esprit toujours tendu vers les questions les plus abstraites et les plus ardues de la métaphysique comme le maître, ils tenaient en mépris les choses d'ici-bas, et déclaraient l'âme immortelle."