Inconnue, puis Augusta Praetoria Salassorum (Aoste)
Salasses - Peuple celte de Gaule cisalpine, les Salasses furent mentionnés à de multiples reprises par les auteurs de l'antiquité sous les formes Salassi pour les auteurs latins (Pline, Tite-Live, Julius Obsequens, etc.) et Σαλασσοί pour les auteurs grecs (Strabon, Appien, Dion Cassius, etc.). Leur territoire s'étendait assurément sur l'ensemble du Val d'Aoste (Valle d'Aosta en italien), soit la haute-vallée de la Doire Baltée, dans les Alpes italiennes. Il est fort probable que leur territoire ait eu une plus grande extension dans un passé plus lointain, et couvrir également le Cavanais (Canavese en italien), soit la basse-vallée de la Doire Baltée, la vallée de l'Orco et celles de Lanzo (est des provinces de Bielle et Verceil). Ceci faisant, le territoire des Salasses avait une valeur hautement stratégique, puisqu'ils contrôlaient les accès à plusieurs cols majeurs (le Petit-Saint-Bernard et le Grand-Saint-Bernard, notamment) entre la plaine du Pô et la Gaule. Leur capitale pré-romaine n'est pas précisément identifiée. Au Ier av. J.-C., peu après la conquête romaine, elle fut fixée à Augusta Praetoria Salassorum (Aoste).
La celticité de ce peuple ne fait guère de doute, cependant, de nombreux auteurs antiques ont apporté quelques subtilités quant à leurs origines. Ainsi, selon Caton, les Salasses et les Lépontiens auraient été deux populations issues des Taurisques, et proviendraient donc des Alpes orientales (Origines, cité par Pline, Histoire naturelle, III, 134). Ce dernier point de vue transparaît certainement dans l'oeuvre d'Appien. En effet, cet auteur assure que les territoires des Rhètes et des Noriques étaient considérés comme appartenant à l'Illyrie par les Romains (Illyrique, 29). C'est certainement ce même point de vue qui explique que dans son oeuvre, les conflits ayant opposé les Romains aux Salasses et aux Taurisques furent traités, non-pas dans son ouvrage consacré aux guerres menées contre les Gaulois (Celtique), mais dans celui relatifs à celles menées contre les Illyriens (Illyrique, 17). Par ailleurs, Pline et Strabon les distinguent très nettement des Ligures (Histoire naturelle, III, 123 ; Géographie, IV, 6, 6) et seul Julius Obsequens les désigne clairement comme étant des Gaulois (Des prodiges, LXXX).
L'histoire des Salasses ne nous est connue qu'à partir du milieu du IIe s. av. J.-C. En 143 av. J.-C., profitant des querelles opposant les Salasses et leurs voisins (très certainement les Libiciens), au sujet du détournement de l'eau nécessaire au lavage des sables aurifères, le consul Appius Claudius Pulcher intervint sur leur territoire sans aucune justification légitime. Après un lourde déconvenue, les troupes romaines se contentèrent de dévaster le territoire des Salasses, sans les affronter, ni remporter la moindre victoire sur eux. L'absence de justification à cette intervention, additionnée aux faibles résultats de cette campagne firent que le consul se vit refuser les honneurs d'un triomphe.
Les relations avec les Romains demeurèrent tumultueuses, si bien que ces derniers déduisirent la colonie romaine d'Eporedia (100 av. J.-C.) au débouché de la Doire Baltée dans la plaine du Pô, pour se défendre de leurs incursions (Strabon, Géographie, IV, 6). Cette colonie fut semble-t-il déduite sur une portion de leur territoire, sans qu'il soit possible de préciser à quelle occasion celle-ci leur fut retirée (en 143 av. J.-C., ou plus tard ?). Enfin, la simultanéité de cette déduction avec le projet de loi agraire du tribun de la plèbe Lucius Appuleius Saturninus (100 av. J.-C.) prévoyant le partage des terres occupées par Cimbres, pourrait laisser supposer que ces derniers auraient pu s'introduire en Italie (un peu avant 101 av. J.-C.) par le territoire des Salasses, et s'imposer autour d'Eporedia (Ivrée) ?
Ayant semble-t-il perdu le contrôle de la portion de leur territoire située dans la plaine, les Salasses furent dés lors connus pour leurs exactions commises le long des grands itinéraires traversant les Alpes. Strabon est le seul auteur ayant évoqué une confrontation ayant opposé des troupes romaines aux Salasses, au cours de la guerre des Gaules (58-51 av. J.-C.). Il indique en effet que ce peuple offrit aux troupes romaines de leur faciliter le franchissement de leur territoire en travaillant à leurs routes et en construisant des ponts pour franchir les rivières, avant de tenter de les écraser avec des rochers et de piller leur caisse (Géographie, IV, 7). L'offensive dirigée par Servius Sulpicius Galba, visant à prendre le contrôle des Alpes pennines (57 av. J.-C.), était-elle destinée à venger cet affront autant qu'à prendre le contrôle de cette route essentielle ?
Après sa défaite lors de la guerre civile de Modène (43 av. J.-C.), Decimus Iunius Brutus Albinus cherchant à rejoindre l'Illyrie en contournant les Alpes par le nord. Dans sa fuite, lâché de toute part par ses anciens soutiens, l'assassin de Jules César quitta l'Italie et franchit les Alpes par le territoire des Salasses. Une nouvelle fois, ces derniers s'illustrèrent en le rançonnant, lui et ses derniers soldats (Strabon, Géographie, IV, 7).
Tributaires de Rome depuis un temps indéterminé, en 36 av. J.-C., les Salasses profitèrent de l'éloignement d'Octavien pour cesser de verser le tribut annuel et pour mener des incursions et pillages dans les régions alentours. Deux campagnes furent menées successivement par Caius Antistius Vetus (36-34 av. J.-C.) et Marcus Valerius Messalla Corvinus (34 av. J.-C), pour les pacifier et rouvrir les routes des Alpes.
Suite à cette annexion, le territoire des Salasses fut intégré à la province de Gaule cisalpine, puis à la région XI (Transpadane).
Appien, Illyrique, 17 :"Ceux qui lui (Auguste) posaient le plus de problèmes étaient les Salasses, les Iapodes transalpins, les Ségestains, les Dalmates, les Daesitiates et les Pannoniens, très éloignés des Salasses, qui occupent les hautes montagnes alpines, difficiles d'accès, les sentiers étant étroits et difficile de grimper. Pour cette raison, non seulement ils ont préservé leur indépendance, mais ils ont également imposé des péages à ceux qui traversaient leur pays. Vetus les a attaqués à l'improviste, a saisi les col par la ruse et les a assiégés pendant deux ans. Ils ont été conduits à se rendre faute de sel, qu'ils utilisent beaucoup, et ils ont reçu une garnison romaine ; mais quand Vetus s'en alla, ils chassèrent aussitôt la garnison et, se saisissant des cols des montagnes, ils se moquèrent des forces envoyées par Auguste contre eux, incapables d'accomplir quelque chose d'important. Sur ce, Auguste, anticipant une guerre avec [Marc] Antoine, reconnut leur indépendance et leur permit de rester impuni pour leurs crimes contre Vetus. Mais comme ils se méfiaient de ce qui pourrait arriver, ils mirent d'importantes quantités de sel et firent des incursions sur le territoire romain jusqu'à ce que Messala Corvinus soit envoyé contre eux et les réduise de faim. De cette façon, les Salasses ont été subjugués."
Dion Cassius, Histoire romaine, LIII, 25 :"Auguste, au moment de passer en Bretagne avec son armée (les Bretons n'avaient pas voulu accepter ses conditions), fut retenu par les Salasses, qui se soulevèrent contre lui, et par les Cantabres et les Astures, qui lui firent la guerre. Le premier de ces deux peuples habite au pied des Alpes, comme je l'ai déjà dit ; les deux autres, au pied des Pyrénées, la partie la plus forte du côté de l'Espagne et la plaine située au-dessous de cette montagne. Ce fut pour cette raison qu'Auguste (il était déjà consul pour la neuvième fois avec M. Silanus), envoya Térentius Varron contre les Salasses. Celui-ci les ayant, par des incursions sur plusieurs points à la fois, empêchés de devenir par leur réunion difficiles à réduire, les vainquit aisément, attendu qu'ils ne venaient que par petites troupes à la rencontre des Romains : après les avoir contraints à faire la paix, il leur demanda une somme déterminée pour ne leur faire aucun autre mal ; puis ayant, sous prétexte de lever cet argent, envoyé partout des soldats, il se saisit des hommes en âge de porter les armes et les vendit à condition que, durant l'espace de vingt ans, aucun d'eux ne serait mis en liberté. La partie la meilleure de leur territoire fut donnée à quelques soldats prétoriens et reçut une ville nommée Augusta Prétoria."
Pline, Histoire naturelle, III, 123 :"La onzième région, qui vient ensuite, prend du Pô le nom de Transpadane ; elle est tout entière dans l'intérieur des terres, mais elle n'en reçoit pas moins toutes choses de la mer par l'utile canal de son fleuve. Villes : Vibi Forum, Segusio ; colonies, à partir du pied des Alpes : Augusta des Taurins, de l'antique nation des Ligures, et où le Pô commence à être navigable ; puis Augusta Praetoria des Salasses, auprès des deux passages des Alpes ; les portes Graïques et les portes Poenines (on rapporte que les Carthaginois ont passé par celles-ci, et Hercule par celles-là) ; la ville d'Eporedia, fondée par le peuple romain sur l'ordre des livres sibyllins (les Gaulois appellent Eporédies les bons écuyers) ;"
Pline, Histoire naturelle, III, 134 :"Le même Caton pense que les Lépontiens et les Salasses appartiennent à la nation Taurisque ; presque tous les autres, admettant une étymologie grecque pour le mot Lépontiens, pensent qu'ils proviennent d'hommes qui appartenaient au cortège d'Hercule, et dont les membres furent gelés par la neige au passage des Alpes ; que les habitants des Alpes Graïques provenaient de Grecs (Graii) appartenant aussi à cette armée, et que les Euganéens, étant d'une race illustre, avaient tiré leur nom de cette circonstance."
Strabon, Géographie, IV, 6, 5 :"Les peuples qui viennent après les Vocontiens sont les Iconiens, les Tricoriens, et plus loin, sur les dernières cimes des Alpes, les Médulles. Ces dernières cimes s'élèvent tout à fait à pic : on compte 100 stades pour y monter, et autant pour redescendre de l'autre côté jusqu'à la frontière d'Italie. Une fois en haut l'on découvre, au fond de certaines dépressions de la montagne, d'abord un grand lac, puis deux sources assez rapprochées, de l'une desquelles s'échappent le Druentias, véritable torrent qui se précipite dans le Rhône, et, à l'opposite du Druentias, le Durias : [je dis à l'opposite], car cette rivière va s'unir au Padus et traverse là tout le territoire des Salasses pour entrer, ensuite dans la Gaule Cisalpine."
Strabon, Géographie, IV, 6, 6 :"Du côté opposé, c'est-à-dire sur le versant italien de la chaîne des Alpes, habitent les Taurins, nation ligystique, et, avec les Taurins, maintes autres tribus de même origine, celles-là notamment qui forment la population des deux districts connus sous les noms de terre de Donnas et de terre de Cottius. Immédiatement après ces tribus ligyennes, de l'autre côté du Padus, commence le territoire des Salasses ; puis, au-dessus des Salasses, sur la crête même des Alpes, on rencontre successivement les Centrons, les Catoriges, les Varagres, les Nantuates, le lac Lemenna que traverse le Rhône et finalement la source de ce fleuve."
Strabon, Géographie, IV, 6, 7 :"Les Salasses occupent un vaste territoire dans une vallée profonde que ferment de part et d'autre des montagnes ; mais une partie de ce territoire s'élève jusqu'aux sommets qui la dominent. Ceux qui, partant de l'Italie, franchissent les montagnes, prennent la route de cette même vallée : ensuite, il y a une bifurcation ; des deux routes l'une passe par le mont dit Poeninus ; mais elle est inaccessible aux attelages dans les hautes régions alpestres ; l'autre, qui traverse le pays des Centrons, est plus au couchant. - Le territoire des Salasses renferme des mines d'or : jadis, au temps de leur puissance, les Salasses en avaient la propriété, de même qu'ils étaient les maîtres des passages. Le fleuve Durias leur était d'un grand secours dans le travail des mines, pour le lavage de l'or. Aussi, distribuant les eaux en plusieurs canaux sur différents points, épuisaient-ils le courant commun. Mais si ce procédé leur était utile pour la recherche de l'or, il était bien, incommode pour ceux qui cultivaient les plaines situées au-dessous, qu'il privait de tous moyens d'arrosage ; car la rivière, ayant son cours plus haut, pouvait abreuver tout le pays. De là une cause de guerres continuelles entre les deux populations. Quand les Romains furent devenus les maîtres, les Salasses furent privés et de cette exploitation de l'or et même de leur territoire. Mais, comme ils occupaient encore les montagnes, ils se mirent tout de suite à vendre de l'eau aux publicains, qui avaient pris à ferme les mines d'or, et ils eurent avec ces publicains avares de perpétuels démêlés. Il en résultait que des Romains toujours avides de commandements militaires, envoyés en ces lieux, ne manquaient jamais de prétextes pour faire la guerre. Jusqu'à ces derniers temps donc les Salasses, tantôt, en guerre avec les Romains, tantôt suspendant les hostilités, conservaient néanmoins assez de forces pour. causer, en faisande brigandage, des dommages considérables à ceux qui passaient par leurs montagnes. Ainsi exigèrent-ils de Décimus Brutus, s'enfuyant, de Mutinè, une drachme par homme, et Messala, en quartiers d'hiver dans leur voisinage, leur versa le prix du bois qu'il brûlait, et du bois d'orme dont on fait les hampes des javelots : et les armes pour les exercices. Bien mieux, ces gens-là pillèrent un jour la caisse de César, et poussèrent d'énormes rochers sur ses troupes, en, ayant l'air de travailler à leurs routes et de jeter des ponts sur leurs rivières. Ensuite pourtant Auguste les soumit complètement et les vendit tous comme butin, après les avoir transportés à Eporédie, colonie fondée par les Romains pour en faire un poste de défense contre ces Salasses. Mais les habitants ne purent guère leur tenir tête jusqu'à ce que la nation eût été anéantie. Elle s'élevait alors au nombre de trente-six mille personnes avec huit mille hommes en état de combattre. Ils furent tous vendus sous la haste par Térentius Varron, le général qui les avait vaincus. - Avec trois mille Romains qu'il envoya dans ce pays, César fonda la ville d'Augusta au lieu même où avait été le camp de Varron. Maintenant la paix règne dans toute la contrée voisine, jusqu'aux cols les plus élevés de la montagne."
Strabon, Géographie, IV, 6, 11 :"Des différents chemins de montagne qui font communiquer l'Italie avec la Gaule transalpine et septentrionale, c'est celui du pays des Salasses qui mène à Lugdunum. Ce chemin, avons-nous dit, a deux branches, l'une qui peut être parcourue en chariot, mais qui est de beaucoup la plus longue (c'est celle qui traverse le territoire des Centrons), l'autre qui franchit le mont Poeninus et raccourcit ainsi la distance, mais qui n'offre partout qu'un sentier étroit et à pic."
Strabon, Géographie, IV, 6, 12 :"Il (Polybe) nomme ensuite leurs principaux cols ou passages, au nombre de quatre seulement, un premier col chez les Ligyens (c'est le plus rapproché de la mer Tyrrhénienne) ; un autre chez les Taurins, qui est celui que franchit Hannibal ; puis le col où aboutit la vallée des Salasses ; et, en dernier lieu, celui qui traverse les Alpes Rhaetiennes ; et tous les quatre, à l'entendre, sont bordés de précipices affreux."