Brocomagus (Brumath), puis Argentoratum (Strasbourg)
Triboques - Peuple celto-germanique, initialement installé en Grande Germanie, plus tard installé dans la portion de la Gaule belgique qui constitua par la suite la province de Germanie supérieure. Cet ethnonyme fut mentionné sous les formes Tribocos (acc.) et Tribocorum (gén.) par César (Guerre des Gaules, I, 51 ; IV, 10), Triboci (nom.) (var. Triuoci, Tribochi) par Pline (Histoire naturelle, IV, 106), Triboci (nom.), Tribocorum (gén.) et Tribocis (dat.) par Tacite (Germanie, XXVIII, 4 ; Histoires, IV, 70). Les auteurs grecs ont également attesté cet ethnonyme sous les formes Τρίβοκχοι (nom.) et Τριβόκχους (acc.) par Strabon (Géographie, IV, 3, 4) et Τριβόκων (gén.) (var. Τριβόνων, Τριβόκκων, Τριβοκων) par Ptolémée (Géographie, II, 9, 9). Longtemps, l'origine de cet ethnonyme a été discutée, entre tenant d'une origine germanique et tenants d'une origine celtique. L'étymologie celtique est dorénavant privilégiées, mais il n'existe aucune unanimité quant au sens à donner à ce nom. À l'époque pré-romaine, le territoire des Triboques devait se situer sur une portion de l'actuel Bade-Wurtemberg. À l'époque romaine, leur territoire correspondait à la portion du diocèse médiévale de Strasbourg située sur la rive gauche du Rhin, soit la majeure partie du département du Bas-Rhin. Leur capitale a été successivement Brocomagus (Brumath), puis Argentorate (Strasbourg).
Selon César, au cours de la première moitié du Ier s. av. J.-C., les Triboques appartenaient à la confédération de peuples menée par les Suèves (Guerre des Gaules, I, 51). Ces peuples furent attirés en Gaule par les Arvernes et les Séquanes, afin de contribuer à établir leur domination sur les Éduens. Bien que victorieux, les Arvernes et les Séquanes furent finalement débordés par leurs auxiliaires d'outre-Rhin, qui ne tardèrent pas à réclamer des terres et à en prendre de force pour s'y établir en Gaule. Ce fut visiblement le cas des Triboques. Ceux-ci s'installèrent sur les deux rives du Rhin, sur une portion de territoire pris aux Médiomatriques (César, Guerre des Gaules, IV, 10 ; Strabon, Géographie, IV, 3, 4).
En juillet 58 av. J.-C., César réunit l'assemblée générale des Gaules au cours de laquelle les peuples gaulois dénoncèrent les exactions des Suèves et incitèrent les Romains à intercéder en leur faveur auprès d'Arioviste (Guerre des Gaules, I, 30-32). Après l'échec des négociations avec Arioviste et de nouvelles exactions perpétrées dans l'est de la Gaule, les Romains gagnèrent le territoire des Séquanes en vue d'affronter les Suèves (I, 33-37). En septembre 58 av. J.-C., les Romains remportèrent finalement cette bataille à laquelle les Triboques prirent part (I, 48-53). Si la plupart des populations appartenant à la confédération des Suèves ont alors reflué sur la rive droite du Rhin, les Triboques semblent s'être maintenus chez les Médiomatriques, sans que nous n'en connaissions la justification. Les Triboques semblent être restés à l'écart des affrontements ultérieurs qui opposèrent les Suèves, puis les populations gauloises aux Romains, ce qui invite à penser qu'ils aient pu négocier leur reddition en septembre 58 av. J.-C.
Dans les circonstances méconnues, les Triboques héritèrent de l'ensemble de la portion rhénane du territoire des Médiomatriques. On trouve peut-être une allusion à cet événement dans l'oeuvre de Strabon, qui indique que ce peuple fut intégralement transporté depuis la rive droite, vers la rive gauche du Rhin, ce qui pourrait avoir justifié l'accroissement de leur emprise territoriale en Gaule (Géographie, IV, 3, 4). On devine que ce transport fut le fait des Romains, et que l'événement dut se situer entre la guerre des Gaules (58-51 av. J.-C.), et la rédaction de la Géographie de Strabon (vers 23 ap. J.-C.). Trois périodes particulières pourraient avoir été celle de ce transfert en Gaule : l'installation des Ubiens par Agrippa (39-38 av. J.-C.), l'organisation des défenses de la frontière du Rhin (13-9 av. J.-C.) et l'installation de Sicambres et de Suèves par Tibère (8-7 av. J.-C.). Dans les trois cas de figure, l'installation de l'ensemble des Triboques en Gaule se serait faite en vue de fixer des populations redevables à Rome sur des territoires frontaliers, menacés par les incursions germaniques.
À l'époque augustéenne, les Triboques furent constitués en cité et dotés d'une métropole érigée ex nihilo, Brocomagus (Brumath). Leur territoire fut intégré à la province de Gaule belgique (Pline, Histoire naturelle, IV, 106), tout en étant administré au sein du district militaire de Germanie supérieure.
Les Romains étant parvenus à prendre position sur les Champs Décumates, la rive gauche du Rhin perdit grandement de son intérêt stratégique. Une partie des troupes cantonnées sur le territoire des Triboques fut très certainement transférée dans la nouvelle zone frontalière. Dans ce cadre, vers 84 ou 85 ap. J.-C., le district militaire de Germanie supérieure fut détaché de la province de Gaule belgique, pour finalement devenir une province autonome.
Les troubles générés par les attaques perpétrées par les Alamans entre 233 et 235, aboutirent finalement à l'effondrement du Limes de Germanie supérieure vers 250 ap. J.-C. Ce faisant, les rive gauche du Rhin, dont le territoire des Triboques, redevinrent des zones frontalières, exposées aux raids des barbares. Dans ce cadre plus qu'incertain, la capitale des Triboques fut transférée de Brocomagus à Argentorate.
Sources textuelles anciennes
César, Guerre des Gaules, I, 51 :"Alors, les Germains, forcés enfin de combattre, sortirent de leur camp et se placèrent, par ordre de nations à des intervalles égaux, Harudes, Marcomans, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens, Suèves ; ils formèrent autour de leur armée une enceinte d'équipages et de chariots, afin de s'interdire tout espoir de fuite. Placées sur ces bagages, les femmes tendaient les bras aux soldats qui marchaient au combat, et les conjuraient en pleurant de ne les point livrer en esclavage aux Romains."
César, Guerre des Gaules, IV, 10 :"Quant au Rhin, il prend sa source chez les Lépontes, habitants des Alpes, et traverse rapidement dans un long espace les terres des Nantuates, des Helvètes, des Séquanes, des Médiomatrices, des Triboques, des Trévires : lorsqu'il approche de l'Océan, il se divise en plusieurs branches, formant beaucoup de grandes îles, dont la plupart sont habitées par des nations féroces et barbares, parmi lesquelles il en est qui passent pour vivre de poissons et d'oeufs d'oiseaux ; enfin, il se jette dans l'Océan par beaucoup d'embouchures."
Pline, Histoire naturelle, IV, 106 :"À l'Escaut, l'extérieur est habité par les Toxandres, divisés en plusieurs peuplades ; puis viennent les Ménapiens, les Morins, les Oromansaques, attenants au bourg appelé Gessoriacum ; les Bretons, les Ambianiens, les Bellovaques ; dans l'intérieur, les Catusluges, les Atrébates, les Nerviens, libres ; les Véromanduens, les Suécons, les Sassions, libres ; les Ulmanètes, libres ; les Tongres, les Sunuques, les Frisiabons, les Betases, les Leuciens, libres ; les Trévères, libres auparavant, alliés maintenant ; les Lingons, alliés; les Rèmes, alliés ; les Médiomatriques, les Séquanes, les Rauriques, les Helvétiens : colonies, Équestris et Raurica ; sur le Rhin, peuplades germaniques habitant la Gaule Belgique : les Némètes, les Triboques, les Vangions ; puis les Ubiens, la colonie d'Agrippine, les Gubernes, les Bataves, et ceux dont nous avons parlé à propos des îles du Rhin."
Strabon, Géographie, IV, 3, 4 :"Aux Helvètes, le long des bords du Rhin, succèdent les Séquanes et les Médiomatrices, et, compris parmi ces derniers, les Triboques, peuple germain, enlevé naguère à ses foyers et transporté là de la rive opposée du fleuve. [...] Au-dessous des Médiomatrices et des Triboques sur le Rhin, à la hauteur du pont, que les généraux romains, qui opèrent actuellement contre les Germains, viennent de jeter sur ce fleuve, habitent les Trévires. Juste vis-à-vis, sur la rive opposée, étaient établis les Ubiens, avant qu'Agrippa les eût transportés de leur plein gré de ce côté-ci du fleuve."
Tacite, Histoires, IV, 70 :"Tutor, après avoir ajouté aux bandes tréviroises des recrues de Vangions, de Caracates et de Triboques, les renforça de vieux légionnaires tant à pied qu'à cheval, qu'il corrompit par l'espérance ou força par la crainte. Ceux-ci massacrèrent d'abord une cohorte qu'avait détachée en avant Sextilius Félix ; bientôt, en voyant approcher des généraux et une armée romaine, ils retournèrent, par une désertion honorable, au poste du devoir, et furent suivis des Triboques, des Vangions et des Caracates. Tutor, accompagné des Trévires, évita Mayence et se rendit à Bingium. Il comptait sur cette position parce qu'il avait rompu le pont de la Nava : il fut trahi par un gué que découvrirent les cohortes de Sextilius, assailli par elles, et battu."
Tacite, Germanie, XXVIII, 4 :"Les Trévires et les Nerviens revendiquent leur origine germanique et sont bien fiers de ce sang glorieux qui empêche de les confondre avec d'apathiques Gaulois. Quant à la rive même du Rhin, elle est évidemment occupée par des tribus germaniques tels les Vangions, Triboces et autres Némètes. Même les Ubiens, qui ont mérité d'être une colonie romaine et se font plus volontiers appeler Agrippiniens, du nom de son fondateur, ne rougissent pas de leur origine. Ils ont émigré autrefois et, en reconnaissance de leur loyauté, ont été installés sur la rive même du Rhin, pour nous servir de barrière, non pour être surveillés."
Sources épigraphiques
Asberg (Moers-Asberg) Ascibvrgivm (AE 1931, 30) ]CIN[...]S DACRAIONIS F(ILIVS) [...]VC IS CIV<I=E>S TRIBOCVS [A]EQVES ALAE [FRO]NTONIANAE AN(N)O(RVM) [...] ST[IPE]NDI(ORVM) XX[I]V HIC SITVS EST HER(ES) FV(NVS) F(ACIENDVM) C(VRAVIT)
"[...], fils de Dacraio, [...] citoyen triboque, cavalier dans l'aile Frontoniana âgé de [...], 24 années de service, repose ici. L'héritier a pris soin de faire les funérailles."
Borne de Brumath (CIL 17-02, 599 ; 13, 9098) IMP(ERATORI) CAES(ARI) PVBLIO LICINIO VALERIANO PIO FELICI INVICTO AVGVSTO CIV(ITAS) TRIBOCORVM
"À l'empereur César Publius Licinus Valerianus, pieux, chéri des dieux, invincible Auguste. La cité des Triboques."
"Burrius, fils de Betulo, tréboque, soldat dans la cohorte Aquitanorum, âgé de 55 ans, 29 années de service, repose ici. L'héritier a posé (ce monument)."
"À Caius Valentius Hostilianus Messius Quintus, nobilissime César. La cité des Triboques (a fait poser cette borne). Depuis Vrocomagus, [...] lieues."
Lyon (CIL 13, 2018) D(IS) M(ANIBVS) ET MEMORIAE AETERNAE M(ARCI) ATTONI RESTITVTI CIVIS TRIBOCI NEGOTIATORIS ARTIS MACELLARIAE HOMINIS PROBISSIMI QVI DEFVNCTVS EST ANNOR(VM) XXXX MEN(SIVM) III D(IERVM) XVIII RVTTONIA MARTIOLA CONIVNX QVAE CVM EO VIXIT ANN(OS) VIIII D(IES) VIIII SINE VLLA ANIMI LAESIONE ET M(ARCVS) ATTONIVS GERMANVS RELICTVS A PATRE ANN(ORVM) III M(ENSIS) I D(IERVM) XII ET M(ARCVS) ATTONIVS RESPECTINVS MENS(IVM) VIIII FILI(I) ET HEREDES PONENDVM CVRAVERVNT ET SIBI VIVI SVB ASCIA DEDICAVERVNT
"Aux Dieux Mânes et à la mémoire éternelle de Marcus Attonius Restitutus, citoyen triboque, commerçant dans l'art de la boucherie, homme très probe qui est décédé à l'âge de 40 ans, 3 mois et 18 jours. Ruttonia Martiola, son épouse, avec laquelle il a vécu 9 ans et 9 jours, sans qu'il ne lui ait jamais fait aucune peine, et Marcus Attonius Germanus, privé de son père à l'âge de 4 ans, 1 mois et 12 jours, et Marcus Attonius Respectinus à l'âge de 9 mois. Ses fils et héritiers, ont pris soin de poser (ce monument), mais aussi pour eux-mêmes, de leur vivant, et l'ont dédié sous l'ascia."
"Aux Dieux Mânes de Marcus Cossius Natalis, fils de [...], citoyen romain, centurion de l'unité des Exploratorum Boiorum et Tribocorum. Sollemnia Victorina, pour son époux, a pris soin de faire (ce monument)."
Marbach am Neckar (CIL 13, 6448) [D]<I=E>ANAE EXPLORATOR(ES) TRIBOCI ET BOI L(IBENTES) L(AETI) M(ERITO)
Inscription de Rome (CIL 06, 22981) ] T(ITO) NIGRIO SIMILI TRIBOCO EX GERMANIA SVPERIORE LVCO AVGVSTI NIGRIVS MODESTVS FRATRI O[B]PTIMO ET PIISSIMO CINERARIVM FECIT
"[...] Titus Nigrius Similis, triboque de Germanie supérieure, de Lucus Augusti. Nigrius Modestus, au meilleur et au plus affectionné des frères, a fait ce caveau."
Rome (CIL 06, 31139) VOTO SVSCEPTO SACR(VM) IOVI OPTIMO MAX(IMO) SOLI DIVINO MARTI MERCVR(IO) HERCVLI APOLLIN(I) SILVAN(O) ET DIS OMNIBVS ET GENIO IMP(ERATORIS) HADRIANI AVG(VSTI) ET GENIO SINGVLARIVM M(ARCVS) VLPIVS TERTIVS CIVES(!) TRIBOCVS CL(AVDIA) ARA MISSVS HONEST(A) MISSION(E) EX NVMER(O) EQ(VITVM) SING(VLARIVM) AVG(VSTI) VIII ID(VS) IANVAR(IAS) ASPRENATE II ET LIBONE CO(N)S(VLIBVS) VOT(VM) SOLVIT LIBENS MERITO // VOTO SVSCEPTO SACR(VM) IVN(ONI) VICTORIAE FORTVN(AE) FELICITATI MINERVAE CAMPESTRIB(VS) FATIS SALVT(I) ET OMNIBVS DEABVS ET GENIO IMP(ERATORIS) HADRIANI AVG(VSTI) ET GENIO SINGVLAR(IVM) M(ARCVS) VLPIVS TERTIVS CIVES(!) TRIBOCVS CL(AVDIA) ARA MISSVS HONEST(A) MISSION(E) EX NVME/RO EQ(VITVM) SING(VLARIVM) AVG(VSTI) VIII ID(VS) IAN(VARIAS) ASPRENATE II ET LIBONE CO(N)S(VLIBVS) VOTVM SOLVIT LIBENS MER(ITO)
"En conséquence d'un voeu souscrit. Consacré à Jupiter le très bon, le très grand, au divin Soleil, à Mars, à Mercure, à Hercule, à Apollon, à Silvain et à tous les dieux, et au Génie de l'empereur (Publius Aelius) Hadrianus, Auguste, et au Génie des gardes du corps. Marcus Ulpius Tertius, citoyen triboque, de Claudia Ara (Agrippinensium), libéré avec le congé honorable de l'unité des Equites Singulares Augusti, le 8e (jour avant les) ides de Ianuarius, (Lucius Nonius Calpurnius Torquatus) Asprenas (2e consulat) et (Marcus Annius) Libo étant consuls (1), il s'est acquitté de son voeu, de bon gré, comme il se doit." "En conséquence d'un voeu souscrit. Consacré à Junon, à la Fortune, à la Félicité, à Minerve, aux dieux des Champs, aux Fates, à Salus et à toutes les déesses, et au Génie de l'empereur (Publius Aelius) Hadrianus, Auguste, et au Génie des gardes du corps. Marcus Ulpius Tertius, citoyen triboque, de Claudia Ara (Agrippinensium), libéré avec le congé honorable de l'unité des Equites Singulares Augusti, le 8e (jour avant les) ides de Ianuarius, (Lucius Nonius Calpurnius Torquatus) Asprenas (2e consulat) et (Marcus Annius) Libo étant consuls (1), il s'est acquitté de son voeu, de bon gré, comme il se doit."
(1) 13 janvier 128 ap. J.-C.
Château du Wasenbourg (Niederbronn-les-Bains) (CIL 13, 6054) DEO MERCVRIO ATTEGIAM TEGVLICIAM COMPOSITAM SEVERINIVS SATVLLINIVS C(IVIS?) T(RIBOCVS?) EX VOTO POSVIT L(IBENS) L(AETVS) M(ERITO)
"Au dieu Mercure. En conséquence d'un voeu, Severinus Satullinius, citoyen triboque, a fait élever et consacrer ce petit édifice en tuiles, pour s'acquitter, avec joie, comme il se doit."